Le chat de Dick Baker

Éloquent Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004

Le chat de Dick Baker

Le chat de Dick Baker (Mark Twain), gentiment mis en épisode par Aimée Ninon

Episode 1
Episode 2
Episode 3
Episode 4
Episode 5

Le chat de Dick Baker 1er épisode

Un de mes camarades, là-bas (une victime, comme tant d'autres, de dix-huit ans de labeur non payé de retour et d'espoirs anéantis) était un des esprits les plus aimables qui aient porté leur croix dans un exil
mortel: le grave et simple Dick Baker, prospecteur à Dead Horse Gulch, le ravin du Cheval mort. A quarante-six ans, il avait le poil gris comme un rat, c'était un homme sérieux, réfléchi, peu cultivé, habillé comme l'as de pique et toujours couvert de poussière d'argile, mais son coeur était d'un métal bien plus précieux que tout l'or que sa pelle avait sorti de terre
- plus précieux que tout l'or, en fait, que l'homme eût jamais extrait du sol ou battu en monnaie .

Quand d'aventure sa chance tournait et qu'il avait le cafard, il se lamentait sur la perte d'un chat magnifique qu'il avait eu jadis (là où il n'y a point de femmes ni d'enfants, les hommes de caractère aimable se lient avec des animaux, car il faut bien aimer quelque chose ). Et il parlait toujours de l'étrange clairvoyance de ce chat, avec l'air de l'homme qui croit au plus profond de lui que l'animal a quelque chose d'humain, voire de surnaturel.

( à suivre )

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LE CHAT DE DICK BAKER - 2ème épisode -

((Dick Baker, chercheur d'or, n'a jamais oublié un chat qu'il a eu jadis))

Je l'ai entendu, un jour, parler de son chat. Voici ce qu'il disait:

- Messieurs, j'ai eu un chat, Tom Quartz qu'il s'appelait, je suis sûr qu'il vous aurait plu. Il aurait plu à tout le monde .Je l'ai eu pendant huit ans et c'était le chat le plus formidable que j'aie connu. C'était un gros chat gris, genre matou.
Il avait plus de bon sens que n'importe qui dans ce camp, et un amour-propre qui lui aurait interdit de fréquenter le gouverneur de Californie. Il a pas attrapé un rat de toute sa vie...il avait l'air d'être au-dessus de ça. Rien ne l'intéressait, à part la mine. Il en savait plus sur la mine que n'importe quel chat, que n'importe quel homme de ma connaissance. Y avait rien à lui apprendre, à lui, sur les trous dans le
sable, sur la recherche des filons, j' crois ben qu'il était né pour ça.
Il retournait la terre derrière moi et Jim quand on prospectait à travers les collines, et il trottait
derrière nous parfois à cinq kilomètres de distance, si on allait aussi loin. Et il savait mieux que tout le monde, pour le gisement - j' veux dire, on n'a jamais rien vu de pareil. Quand on se mettait au boulot, il regardait autour de lui, et si le site ne l'inspirait pas, il nous regardait comme pour dire: Eh ben, je vais vous d' mander de bien vouloir m'escuser... et sans un mot de plus, il reniflait l'air, et partait se coucher. Mais si le sol lui convenait, il se figeait sur place et restait là, en silence, jusqu'à ce qu'on ait lavé la première batée, alors il s'approchait, mine de rien, et jetait un coup d'oeil, et s'il y avait six ou sept grains d'or il était satisfait, ça lui suffisait.
Il se couchait sur nos manteaux et ronflait comme un bateau à vapeur jusqu'à ce qu'on ait trouvé le filon, alors il se levait et venait inspecter le travail. On aurait dit que ça lui plaisait de contrôler la production.

( à suivre )

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LE CHAT DE DICK BAKER - 3ème épisode -

C' est cette année-là qu'il y a eu la fièvre du quartz. Tout le monde voulait en être. Tout le monde s'est mis à forer et à jouer de la dynamite au lieu de pelleter la poussière à flanc de coteau, ils creusaient des
galeries au lieu de gratter la surface.
Pour Jim y avait rien à faire, mais fallait joindre les deux bouts, nous aussi, et on y a été. On commence à creuser une galerie, et Tom Quartz commence à se demander, par tous les diables, à quoi tout ça peut bien rimer. Il avait jamais vu personne extraire du minerai comme ça, et il était tout bouleversé, j'dirais, pour lui, c'était trop. Il détestait ça, j'vous prie de croire, il détestait ça de toutes ses forces, et il avait toujours l'air de penser que c'était stupide. Ce chat, vous voyez, n'avait jamais aimé la nouveauté - je sais pas pourquoi, il ne supportait pas ça. Vous, vous savez comment c'est les vieilles habitudes.
Mais Tom Quartz a fini par mettre un peu d' eau dans son vin, même s'il a jamais compris tout à fait pourquoi on passait notre temps à creuser des puits, alors qu'on n'arrivait jamais à rien. Il a même commencé à descendre lui-même dans les galeries pour essayer de voir comment ça marchait. Et quand il avait le blues, qu'il se sentait un peu minable, énervé, dégoûté - sachant tout ce qu'il savait, que les factures s'accumulaient et qu'on gagnait pas un sou -, il se couchait en boule dans un coin sur un sac de jute et il roupillait.

( à suivre )

Éloquent Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004

LE CHAT DE DICK BAKER - 4ème épisode -

(( maintenant, on ne cherche plus d'or, mais du quartz, très profond; le
chat n'est pas d'accord ))

Un jour, on a creusé à huit pieds, et la roche est devenue si dure qu'on a dû placer une charge, la première charge qu'on faisait péter depuis la naissance de Tom Quartz. On allume la mèche, on prend nos jambes à notre cou et on va s'mettre à l'abri à cinquante mètres de là - et on oublie Tom Quartz qui dort sur son sac de jute. Moins d'une minute plus tard, on voit un nuage de fumée jaillir du trou, et tout fout le camp dans un vacarme épouvantable, quatre millions de tonnes de roche, de poussière, de fumée, de fragments, sont projetés à un kilomètre de haut, et nom de Dieu, en plein milieu de tout ça, y a le vieux Tom Quartz qui s'en va cul par-dessus tête, et qui grogne, et qui éternue, et qui griffe, et qui essaie de s'accrocher comme un possédé . Mais ça servait à rien, vous voyez, ça servait à rien du tout. On ne l'a plus vu pendant deux minutes et demie. Tout à coup, il s'est mis à pleuvoir des rochers et des détritus, et il a couru en toussant à trois mètres de l'endroit où on s'était planqués. J'crois ben qu'j'avais jamais vu une bestiole avec un air aussi méchant. Il avait une oreille repliée en arrière, la queue tordue , les cils cramés, et il était tout noir de poudre et de fumée, et couvert d'un bout à l'autre de boue et de saleté. Eh ben, m'sieur, inutile d'essayer de s'escuser. On a pas été foutus de dire un mot. Il s'est examiné d'un air dégoûté, et il nous a regardés. C'était comme s'il nous avait dit: Messieurs, vous trouvez peut-être très malin de vous moquer d'un chat qui n'a aucune expérience de l'extraction du quartz, mais je ne suis pas de votre avis. Là-dessus il a tourné les talons et il est parti se coucher sans ajouter un mot. Ca, c'était son style.

( à suivre, pour le 5ème et dernier épisode )

Éloquent Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004

LE CHAT DE DICK BAKER -5ème et dernier épisode -

((Tom Quartz vient de se payer une grande envolée dans les airs quand a
explosé la charge de dynamite. Il est assez fâché ...))

Ca, c'était son style. Et vous m'croirez peut-être pas, mais après, on n'a jamais vu un chat avec autant de préjugés contre l'extraction du quartz. Par la suite, quand il lui arrivait tout de même de descendre dans la galerie, eh ben vous auriez été étonnés de sa clairvoyance . A la minute même où on préparait une charge, dès que la mèche commençait à grésiller, il nous regardait, l'air de dire: Je dois vous demander de ben vouloir m'escuser, et c'était étonnant de le voir sortir de ce trou à toute bringue et d'aller se chercher un arbre. Clairvoyance ? Non, c'est pas le mot . C'était de l'inspiration !

- Mais , monsieur Baker, dis-je, ses préjugés contre l'extraction du quartz étaient remarquables, étant donné la façon dont cela lui est venu. Vous n'avez pas essayé de l'en guérir ?

- le GUERIR ! Non ! Quand Tom Quartz avait été échaudé une fois, il le restait toute sa vie - et vous auriez pu le tremper trois millions de fois dans l'eau froide ,que ça n'aurait rien changé à ses préjugés contre l'extraction du quartz !

FIN

nouvelle de: MARK TWAIN ( 1835- 1910 )

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