Sylvie Éloquent
Nombre de messages : 591 Date d'inscription : 10/05/2005
| Sujet: POESIES : Anatole LE BRAZ (1859-1926) Ven 20 Fév - 21:49 | |
|
A un maître inconnu
Du temps que j'étais écolier sauvage En un vieux collège aux livres moisis, S'en vint jusqu'à moi, s'en vint une page D'un recueil tout frais de « Morceaux choisis ».
Comme l'eau d'avril au creux des fontaines, Ainsi le printemps riait dans ces vers. Je lus - et je vis, aux brumes lointaines, S'ouvrir les yeux neufs d'un autre univers.
Je n'étais plus seul dans ma solitude : Un soleil ami, voilé de langueur, Dorait les bancs noirs de la sombre étude Et de sa tendresse inondait mon coeur.
Oh ! les beaux vers francs, et de quelle flamme, Intimes et chauds, comme le foyer!... Leur chant vous entrait si profond dans l'âme Qu'en les récitant on croyait prier.
***
De qui étaient-ils ? Je l'ai su peut-être, Mais je t'en demande humblement pardon : O maître inconnu qui fus mon vrai maître, L'enfant que j'étais oublia ton nom.
En devenant homme, il oublia même Le rythme des mots qui l'avaient charmé... Mais l'accent secret, le son du poème, Je l'entends toujours, comme sublimé.
A sa caressante et souple musique Si vieilli soit-il, mon coeur fond encor, Et je bénis l'heure où ta main magique Suspendit en moi ce théorbe d'or.
| |
|
Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: POESIES : Anatole LE BRAZ (1859-1926) Mar 17 Mar - 22:16 | |
|
Au lavoir de Keranglaz
L'étang mire des fronts de jeunes lavandières. Les langues vont jasant au rythme des battoirs, Et, sur les coteaux gris, étoilés de bruyères, Le linge blanc s'empourpre à la rougeur des soirs.
Au loin, fument des toits, sous les vertes ramées, Et, droites, dans le ciel, s'élèvent les fumées.
Tout proche est le manoir de Keranglaz, vêtu D'ardoise, tel qu'un preux en sa cotte de maille, Et des logis de pauvre, aux coiffures de paille, Se prosternent autour de son pignon pointu.
Or, par les sentiers, vient une fille, si svelte Qu'une tige de blé la prendrait pour sa soeur ; C'est la dernière enfant d'un patriarche celte, Et sa beauté pensive est faite de douceur.
Elle descend, du pas étrange des statues, Et, soudain, au lavoir, les langues se sont tues.
L'eau même qui susurre au penchant du chemin Se tait, sous ses pieds nus qui se heurtent aux pierres, On voit courir des pleurs au long de ses paupières, Et sa quenouille pend, inerte, de sa main...
L'étang mire, joyeux, des fronts de lavandières, Et sait pourtant quel deuil ils porteront demain !...
.
| |
|