L'ENFANT-ROI
L’enfant-roi entra dans une des pièces du château où se trouvaient réunis de nombreux enfants de tous âges. Il portait une longue tunique blanche, un pantalon de velours noir et il était chaussé de petits mocassins pourpres. Ses cheveux blonds et bouclés formaient comme une toison d’or au-dessus de sa tête. Lorsqu’il entra, les enfants s’approchèrent de lui et lui tapotèrent l’épaule en signe d’amitié.
Ils étaient tous réunis là pour relater et commenter les divers faits et anecdotes survenus dans le monde depuis l’avènement de l’enfant-roi et le début de son règne ludique.
Etaient présents à cette cérémonie les différents missionnaires du roi chargés de lui soumettre leurs rapports et leurs impressions sur les affaires dont ils étaient responsables.
- Je suis l’enfant de toutes les couleurs, dit le premier. Je protège l’enfant noir du froid, l’enfant blanc de l’insolation, l’enfant jaune des maladies et l’enfant rouge des carnages.
- Bien, dit l’enfant-roi, mais il faudra également penser à protéger les couleurs pâles du soleil (qui risquerait de les brûler), et les couleurs foncées de l’eau (qui les délaverait).
Les enfants rirent de bon cœur à cette réflexion.
Un autre enfant s’approcha timidement de l’enfant-roi.
- Je suis l’enfant de tous les silences, lui chuchota-t-il à l’oreille.
Et, dans la salle, on entendit voler une mouche.
- J’écoute les murmures et je transcris les sons. J’écoute le silence de ceux que la solitude chagrine et leur emplie le cœur de mille mélodies.
L’enfant-roi resta un moment silencieux. Puis il dit en plaisantant, comme pour dissimuler son trouble :
- N’oublie pas, petit, que les muets sont souvent les plus grands bavards !
Et à nouveau, tout le monde s’esclaffa, brisant ainsi le silence qui alourdissait l’atmosphère.
Le troisième enfant qui parla était d’une rare beauté, avec des yeux bleu foncés et un teint mat qui lui donnaient un air étrange.
- Je suis l’enfant de tous les mystères, dit-il. Je consulte les étoiles et j’écoute leur conseil. La nuit, je vais au-devant des rêves et vis de merveilleuses aventures dans des contrées lointaines ou inconnues. Je suis l’ami de ceux qui croient, de ceux qui doutent et de ceux qui espèrent.
- Ta maison est pleine de trésors, lui dit l’enfant-roi. Pense à les partager et leur valeur n’en sera que plus grande.
- Et toi ? demanda-t-il au quatrième enfant qui s’avançait lentement vers lui et dont le visage semblait creusé par le chagrin.
- Je suis l’enfant de toutes les douleurs, dit-il.
Et son visage fut aussitôt baigné de larmes, de sorte qu’il ne lui fut plus possible de poursuivre son discours.
- Parle, je t’en prie, l’encouragea l’enfant-roi. Dis-nous tes tourments et ta peine en sera allégée.
- Je sais la détresse sans fond, l’inquiétude sans nom, la haine sans visage. J’assiste l’enfant qui a mal et je conduis celui que ce monde a brimé et écrasé vers une dimension meilleure où l’innocence triomphe. Je panse les plaies de ceux qui ont mal et me charge des maux de tous ceux qui ont du chagrin.
- Ta tâche est bien pénible, dit gravement l’enfant-roi, mais d’autant plus méritoire. Si ton action réussit, je te nommerai enfant de tous les bienfaits et de l’innocence.
L’enfant de toutes les douleurs sourit tristement, puis il se retira.
- Finissons cette séance sur une note de gaîté, proposa l’enfant-roi, et, se tournant vers l’enfant de toutes les bontés, il le pria de venir vers lui.
Un très bel enfant blond et aux yeux très sombres se dirigea alors d’un pas lent et majestueux vers lui :
- Je vis à la lisière des forêts et à l’orée des bois, commença-t-il. Les animaux viennent manger au creux de ma main et les oiseaux chantent quotidiennement pour moi des chants mélodieux. La nuit, je me couche dans les prés et l’herbe me caresse le ventre et me chatouille les pieds. J’apporte cette paix à ceux que la vie délaisse et à ceux dont la tête cogne et martèle. J’insuffle douceur et vie paisible dans les cœurs blessés.
L’enfant-roi acquiesça, sourit, puis, se levant de son petit trône, il rassembla d’un geste les enfants et les convia à un grand festin.
Une immense table garnie de toutes sortes de boissons et de friandises était dressée.
L’enfant-roi demanda alors aux enfants de chanter et ils entonnèrent aussitôt de magnifiques chants de joie. Ici et là, des rondes se formèrent et l’on vit des enfants s’offrir mutuellement des fleurs et se raconter des histoires drôles.
On dit que les personnes qui passèrent à ce moment-là à proximité du château ressentirent une impression étrange de quiétude et de bien-être et qu’ils aperçurent, en levant les yeux, le ciel illuminé et le château encerclé d’une auréole de lumière.