P L U I E
La pluie a comme un vague secret de tendresse,
Plein de résignation, de somnolence aimable.
Discrète, une musique avec elle s'éveille
Qui fait vibrer l'âme lente du paysage.
C'est un baiser d'azur que la Terre reçoit,
Le mythe primitif accompli de nouveau,
Le contact d'une terre et d'un ciel déjà froids
Dans la douceur d'un soir qui n'en finit jamais.
C'est l'aurore du fruit, la porteuse de fleurs,
La purification du saint-esprit des mers.
C'est elle qui répand la vie sur les semailles
Et dans nos coeurs le sentiment de l'inconnu.
La nostalgie terrible d'une vie perdue,
Le sentiment fatal d'être arrivé trop tard,
L'espérance inquiète d'un futur impossible,
Et l'inquiétude, soeur des douleurs de la chair.
Elle éveille l'amour dans le gris de ses rythmes.
Notre ciel intérieur s'empourpre de triomphe ;
Mais bientôt nos espoirs en tristesses se changent
A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.
Ses gouttes sont les yeux de l'infini qui voient
Le blanc de l'infini qui leur donna naissance.
Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre
Y fait, divine, une blessure de diamant,
Poétesse de l'eau qui a vu et médite
Ce qu'ignore la foule des ruisseaux et des fleuves.
Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse,
Douceur sereine de sonnaille et de lumière,
Pacifique bonté, la seule véritable,
Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,
Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte
Une âme claire de fontaine et d'humble source,
Quand lentement sur la campagne tu descends,
Les roses de mon coeur à ta musique s'ouvrent.
Le psaume primitif que tu dis au silence,
Le conte mélodieux que tu dis aux ramées,
Mon coeur dans son désert le répète en pleurant
Sur les cinq lignes noires d'une portée sans clé.
J'ai la tristesse en moi de la pluie sereine,
Tristesse résignée de l'irréalisable
Je vois à l'horizon mon étoile allumée
Mais mon coeur m'interdit de courir pour la voir.
Tu mets sur le piano une douceur troublante,
Ô pluie silencieuse, ô toi qu'aiment les arbres.
Tu donnes à mon coeur les vagues résonances
Qui vibrent dans l'âme lente du paysage !
Janvier 1918 - Grenade
Livre de poèmes, 1921
Federico GARCIA LORCA
(1898-1936)
http://www.chez.com/poete/Postit_Lorca.htm