Poésies et Humour |
|
| MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE | |
| | Auteur | Message |
---|
Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mer 20 Juil - 22:24 | |
|
MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE (1880)
Paul de MUSSET ( 1804-1880)
PRÉFACE
Vous saurez, mes chers enfants, qu'il y avait autrefois en Écosse un vieillard aveugle, à barbe blanche, nommé Issian, qui jouait très bien de la harpe et qui courait les rues en chantant des poèmes de son invention. Son père, Fingal, avait été un grand guerrier : c'est pourquoi Ossian chantait, de préférence à autre chose, les exploits du grand Fingal, son père. Après la mort d'Ossian, des bardes continuèrent à chanter ses poèmes, et c'est ainsi que ses vers sont parvenus jusqu'à nous. Mais les bardes ajoutèrent aussi des vers de leur composition. Les uns chantaient l'histoire de Fingal d'une façon, les autres d'une autre façon, et il était impossible de reconnaître dans tout
cela la véritable histoire du grand Fingal.
Un Anglais, nommé Macpherson, voulut démêler la vérité. Il partit pour l'Écosse et rassembla les divers chants des bardes. Il les arrangea, les accorda entre eux et en composa des poèmes que l'empereur Napoléon aimait beaucoup et lisait sans cesse. On a soupçonné Macpherson d'avoir imaginé une grande partie de ces poésies et de les avoir mises sur le compte d'Ossian ; mais c'est une chose qui n'est point prouvée. Qu'importe d'ailleurs de qui sont ces poésies, pourvu qu'elles soient belles et intéressantes !
Il en est de M. le Vent et de Mme la Pluie comme du grand Fingal. Ma grand-mère racontait l'histoire de Mme la Pluie, sans parler de M. le Vent. Mon oncle savait l'histoire de M. le Vent, et ne disait rien de Mme la Pluie. Ma nourrice, qui était de Bretagne, mêlait ensemble les deux histoires et n'en faisait qu'une seule plus complète et plus merveilleuse. Il y a bien longtemps, je suis allé en Bretagne, et, pour suivre l'exemple de Macpherson, j'ai rassemblé tout ce qu'on y racontait de M. le Vent et de Mme la Pluie, qui fréquentent beaucoup ce pays-là. Comme vos mamans vous apprennent sans doute à détester le mensonge, je ne vous dirai pas que je n'ai rien ajouté aux récits décousus des paysans bretons, parce que ce serait mentir ; mais j'ai ajouté seulement ce qui était nécessaire pour lier les événements entre eux et remplir les passages qui manquaient absolument. Puisse ce conte de nourrice, mes chers enfants, vous amuser encore plus que l'histoire du grand Fingal ne divertissait l'empereur Napoléon !
| |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:48 | |
| Chapitre 1
A peu près dans le temps que le bon roi Robert chantait au lutrin, vivait en Bretagne un pauvre meunier appelé Jean-Pierre, qui ne possédait pour tout bien que son moulin, une méchante cabane et un jardin potager où il plantait des choux et des carottes. Jean-Pierre avait du malheur. Souvent il voyait d'autres moulins qui tournaient sur les collines du voisinage, tandis que le vent ne soufflait pas de son côté ; la pluie tombait dans le fond de la vallée, tandis que les légumes de son jardin dépérissaient par la sécheresse, malgré la peine qu'il prenait de les arroser. Comme il n'avait pas beaucoup d'esprit, Jean-Pierre ne faisait que répéter : " Hélas ! Monsieur le Vent, ne voulez-vous donc pas souffler sur mon moulin ? Et vous, Madame la Pluie, ne tomberez-vous pas dans mon jardin, afin que je puisse gagner ma vie ? "
Mais ses lamentations ne servaient à rien ; le Vent ne les écoutait point, et la Pluie ne s'en souciait guère. Pour se désennuyer, le meunier épousa une jolie paysanne nommée Claudine, aussi pauvre que lui, mais active et bonne ménagère. Claudine nettoya la chaumière, raccommoda le linge, remit de l'ordre dans la maison, éleva des poules et porta les œufs au marché ; enfin, son ménage commençait à prospérer un peu, lorsqu'elle devint mère d'un garçon, qui reçut le nom de Pierrot. Ce que Claudine avait amassé depuis son mariage suffisait à peine pour acheter un berceau, des langes et tout ce qui est nécessaire à une mère et à son enfant ; elle y dépensa jusqu'à son dernier écu. Pour comble de malheur, elle tomba malade, et il fallut appeler le médecin du village. Jean-Pierre négligea son travail pour donner des soins à Claudine, car il n'avait pas de quoi payer une garde, et ces pauvres gens se trouvèrent tout à coup dans une misère affreuse.
Un soir qu'il veillait près de sa femme et de son enfant, qui dormaient tous deux, Jean-Pierre se mit à réfléchir sur sa triste position :
" Si tous mes maux, pensa-t-il, n'accablaient que moi seul, je ne me plaindrais pas ; je suis assez robuste pour endurer le froid et la faim ; mais ma femme aurait besoin de feu, de bons aliments, de médicaments pour se guérir, et je n'ai pas de bois à mettre dans la cheminée, ni de viande pour faire du bouillon, ni de l'argent nécessaire pour aller chez le pharmacien. J'aime mieux ma Claudine et son enfant que tous les trésors de la terre, ainsi je ne regrette point d'avoir épousé une fille aussi pauvre que moi ; mais, au moins, si le vent voulait souffler sur mon moulin, je me tirerais d'embarras. "
Comme il disait ces mots, Jean-Pierre vit la flamme de la chandelle qui vacillait et il entendit la girouette rouillée qui tournait sur le toit de la chaumière. Le vent commençait à souffler. Le meunier courut bien vite à son moulin ; il donna du grain à la meule pour toute la nuit ; il délia le frein qui retenait les ailes, et aussitôt le moulin tourna et se mit à moudre le blé et à le changer en son et en farine. Jean-Pierre revint ensuite auprès de sa femme qui continuait à dormir et il se frotta les mains en songeant à l'heureuse nouvelle qu'il aurait à lui apprendre à son réveil.
Cependant, la girouette rouillée gémissait avec plus de force ; la chandelle faillit s'éteindre, et il fallut la mettre derrière un rideau, car il y avait tant de trous et de crevasses à la chaumière que des courants d'air y entraient de tous côtés. La fenêtre était ébranlée, la porte remuait sur ses gonds, et la cendre de la cheminée volait à travers la chambre. Au milieu du tapage et de la tempête, Jean-Pierre crut entendre les voix des esprits du Vent chuchoter des paroles à ses oreilles :
" Sifflons, disaient ces esprits, sifflons par ce carreau cassé. Tâchons d'arracher le papier qui le bouche. - Gémissons, gémissons par ce trou. Accrochons-nous au chaume de cette masure. - Poussons, poussons cette porte mal attachée. - Bourdonnons, bourdonnons dans cette cheminée. "
Malgré l'étonnement que lui causaient ces voix mystérieuses, le meunier ne s'effraya point, et il leur répondait :
" Sifflez, gémissez, bourdonnez tant qu'il vous plaira, pourvu que mon moulin tourne. "
Au même instant, le loquet, qui ne tenait à rien, sauta, la porte s'ouvrit toute grande, et Jean-Pierre vit entrer une figure extraordinaire. C'était un personnage qui ressemblait plus à un génie qu'à un homme. Son corps pouvait se ployer dans tous les sens, tant il avait de souplesse et d'élasticité. Ses yeux brillaient comme du phosphore. Tantôt ses joues paraissaient maigres et plissées, tantôt elles s'enflaient comme des ballons. Sa large poitrine faisait le bruit d'un soufflet de forge. Les deux grandes ailes qu'il avait aux épaules n'auraient pas pu se déployer dans la chambre. Un manteau rouge d'une étoffe légère flottait autour de lui en faisant tant de plis qu'on ne distinguait pas précisément les formes de son corps. Ses pieds rasaient la terre sans qu'il se donnât la peine de marcher ; cependant, comme il venait de fort loin, il paraissait un peu fatigué :
" Donne-moi une chaise, dit-il à Jean-Pierre, que je me repose un moment chez toi, avant de poursuivre ma route. "
Le meunier offrit avec empressement sa meilleure chaise de paille.
" Asseyez-vous, monseigneur, dit-il, et reposez-vous chez moi aussi longtemps que vous voudrez. Ayez seulement la bonté de parler plus bas pour ne point réveiller ma femme, qui est malade, et mon enfant nouveau-né.
- Ne crains rien, répondit l'étranger, le murmure de mes paroles les endormira, au contraire, plus profondément. Je suis M. le Vent, à qui tu as plusieurs fois adressé des prières. Tu ne t'étonneras pas de me voir un peu essoufflé quand tu sauras qu'en moins d'une heure je viens de visiter les côtes de la Bretagne entière et de parcourir un grand espace sur l'Océan. Ton seigneur, dont le château est voisin, n'a pas voulu me recevoir. Ses gens ont fermé les portes avec de gros verrous, les fenêtres avec des volets solides, recouverts de tentures épaisses ; c'est à peine si j'ai pu pénétrer dans ses escaliers par la lucarne d'une tour, et dans ses cuisines par un petit soupirail. Je me suis vengé sur les sentinelles qui montent la garde dans les cours du château en renversant leurs guérites. Chez toi, au contraire, je trouve les murs percés à jour, le toit ouvert, les vitres brisées, le loquet mal attaché. Je n'ai eu qu'à pousser la porte pour entrer dans ta chambre. Voilà une maison comme je les aime. Tu ne possède qu'une mauvaise chaise de paille et tu me l'as présentée de bonne grâce ; je te sais gré de cet accueil hospitalier. Demande-moi quelque service, Jean-Pierre, et je te le rendrai volontiers.
- Monsieur le Vent, dit le meunier, tout ce que je vous demande, c'est de souffler trois ou quatre heures par jour sur mon moulin.
- Mon pauvre Jean-Pierre, répondit M. le Vent, il ne m'est pas permis de sortir tous les jours. Mme la Pluie occupe le ciel pendant le tiers de l'année et me chasse, comme une ingrate, aussitôt que j'ai amené ses nuages. Le soleil s'arrange encore plus mal avec moi. Je vis enfermé dans ma caverne pendant des mois entiers ; mais j'aurai soin de t'envoyer les zéphyrs et les petits esprits qui vont, par mon ordre, examiner le pays matin et soir, et je leur commanderai de ne pas oublier ton moulin. Quand tu seras embarrassé, malheureux ou persécuté, viens me trouver dans ma caverne, et je te donnerai du secours. Je demeure là-haut, tout au faîte de la montagne du Midi.
- Eh ! monsieur le Vent, s'écria Jean-Pierre, je suis malheureux et embarrassé à présent même. Venez tout de suite à mon secours.
- Il est trop tard pour aujourd'hui, répondit M. le Vent. Il faut que je parte à l'instant pour Paris, où j'ai une douzaine de cheminées à jeter par terre ; et dans une demi-heure, je dois être rentré chez moi, car voici Mme la Pluie qui me marche sur les talons. Adieu, Jean-Pierre. "
En parlant ainsi, M. le Vent s'élança d'un bond par la porte, déploya ses grandes ailes et disparut. Au bout d'une demi-heure, les sifflements, gémissements et bourdonnements diminuèrent et finirent par se taire tout à fait. Le meunier reconnut que le Vent était revenu de son voyage et rentré dans sa caverne sur la montagne du Midi ; mais les petits esprits qu'il avait laissés derrière lui suffirent à faire tourner le moulin. | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:49 | |
| Chapitre 2
Aussitôt après le départ de M. le Vent, la pluie se mit à tomber, doucement d'abord, et puis ensuite à torrents. Les ruisseaux s'enflèrent, et quand la terre desséchée eut bien bu, il se forma de petites mares d'eau dans lesquelles les gouttes de pluie sonnaient comme des clochettes. Jean-Pierre crut encore entendre les voix des esprits de la Pluie : " Tombons, disaient ces voix, tombons sur ce toit de chaume.- Mouillons, mouillons toute la maison. - Arrosons ces feuilles de choux. - Coulons sur ces cailloux. - Sonnons dans la gouttière. - Glissons sur cette poutre. - Sautons par ce trou. -- Tombons, mouillons tout ce que nous pourrons, petites gouttes, gouttes, gouttes. "
Au lieu d'avoir peur, Jean-Pierre répétait :
" Tombez, mouillez, arrosez tant que vous pourrez ; demain mon jardin sera plus vert et mes légumes se porteront mieux. "
Comme M. le Vent avait brisé le loquet et qu'il était sorti sans fermer la porte, le battant s'entrouvrit de trois ou quatre pouces. Par cet espace étroit, Jean-Pierre vit entrer une grande dame de figure singulière, qui ressemblait plutôt à une fée qu'à une femme. Son corps était un peu vaporeux et son visage défait, comme si elle relevait de maladie. Ses cheveux ne frisaient point du tout et lui tombaient jusqu'aux talons. Ses yeux étaient voilés par deux ruisseaux de larmes et son nez un peu enflé par le rhume de cerveau. Sa robe était entièrement grise et son manteau de même. Sur son écharpe de soie brillaient les sept couleurs de l'arc-en-ciel. Cette dame s'avançait lentement sans qu'on vît remuer ses pieds ; elle bâillait en étendant ses bras et paraissait accablée, plutôt d'ennui que de lassitude.
" Donne-moi une chaise, dit-elle à Jean-Pierre, afin que je me repose un instant, avant que je descende dans la vallée.
- Asseyez-vous, madame, dit le meunier. Veuillez seulement parler bas, car ma femme est malade et mon enfant dort.
- Ne crains rien, répondit la dame ; le bruit de mes paroles les endormira d'un sommeil meilleur. Je suis Mme la Pluie, à qui tu as souvent adressé des invocations. Il y a cinq minutes, j'étais encore à huit cents toises au-dessus
de la terre, c'est pourquoi je suis un peu étourdie de ma chute. Le seigneur du château voisin m'a fermé au nez ses portes et ses fenêtres ; mais je m'en suis vengé en mouillant jusqu'aux os ses sentinelles. Chez toi, je trouve des crevasses aux murailles, des vitres brisées et la porte ouverte ; aussi j'aime ta chaumière et je me souviendrai de ton bon accueil. Si je puis te servir à quelque chose, profite de l'occasion ; demande-moi ce que tu voudras et je te le donnerai.
- Madame la Pluie, répondit le meunier, que pourrais-je vous demander sinon de vouloir bien tomber deux ou trois fois par semaine sur les légumes de mon potager ?
- Hélas ! mon ami, dit la dame, je ne cours pas le monde comme je le voudrais. Le beau temps du déluge est passé. M. le Soleil est plus fort que moi et me repousse dans ma grotte à chaque instant. Quant à Mme la Lune, depuis Adam, je cherche à deviner si elle m'est favorable ou contraire, et je n'ai pas encore pu éclaircir la chose ; mais, avec l'aide des astronomes, j'espère bien savoir au juste, d'ici trois ou quatre mille ans, quelles sont ses intentions à mon égard. On me fait partout mauvaise mine, excepté chez toi. Je suis enfermée pendant les deux tiers de l'année ; mais je t'enverrai mes rosées du matin et les petits nuages à qui je donne la clef des champs entre deux rayons de soleil. Si ta femme ou ton enfant éprouvent quelque malheur, ne manque pas de m'en informer ; je les prendrai sous ma protection.
- Ah ! madame la Pluie, s'écria Jean-Pierre, protégez-les tout de suite : ma femme est malade, et si elle vient à perdre son lait, mon petit Pierrot en mourra.
- Il fallait commencer par me dire cela, répondit la dame. Tu es un maladroit, Jean-Pierre. Je suis obligée de partir bien vite pour aller mouiller les plaines de la Normandie et de la Beauce. Le soleil va bientôt venir sécher tout mon ouvrage. Adieu, honnête Jean-Pierre. Je demeure dans ma grotte de l'Ouest, sur le rivage de la mer. "
Mme la Pluie glissa par la porte entrouverte et s'abattit dans le fond du vallon. Au bout d'une heure, les joues de l'Aurore commençaient à rougir. Les esprits de la Pluie parlaient plus bas. Les ruisseaux n'étaient plus que des filets d'eau qui ne disaient rien ; le son des petites clochettes s'éteignit peu à peu. Un grand rayon de soleil dissipa bientôt les nuages, et le meunier comprit que Mme la Pluie s'était retirée dans sa grotte de l'Ouest, au bord de la mer.
Jean-Pierre sortit alors de sa cabane et s'en alla au moulin. Il y trouva de quoi remplir deux sacs de farine. Il courut ensuite au jardin et il y cueillit des laitues et des choux qui avaient poussé. Il porta la farine chez un fermier qui lui donna deux écus de six livres, et il vendit les légumes au marché. Sa femme dormait encore lorsqu'il rentra chez lui, avec un fagot de bois sur ses épaules, de l'argent dans sa poche et de bonnes provisions dans son panier. | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:50 | |
| Chapitre 3
La femme de Jean-Pierre, ayant dormi jusqu'au matin, n'avait entendu ni le vent ni la pluie. Elle fut fort étonnée d'apprendre que le moulin avait tourné pendant la nuit et de voir l'argent et les provisions rapportées par son mari. Son sommeil avait déjà hâté sa guérison. La joie qu'elle eut de ces heureuses nouvelles acheva de lui rendre la santé. Cependant, Jean-Pierre ne lui parla point des deux visites extraordinaires qu'il avait reçues.
" Claudine, pensait-il, a plus d'esprit que moi ; mais elle est un peu bavarde. Elle irait dire mon secret à ses commères et cela pourrait me faire du tort. "
Pendant les jours suivants, le moulin tourna soir et matin ; la rosée tomba dans le jardin potager. Jean-Pierre faisait bon feu et bonne chère. Sa femme reprit des forces, et le petit Pierrot devint rose et frais comme une pomme
d'api. Le bonheur et la gaieté étaient revenus dans la maison.
Un jour, le seigneur du château voisin passa devant la cabane de Jean-Pierre en allant à la chasse. Les seigneurs de ce temps-là jouissaient d'un grand pouvoir. Lorsqu'ils étaient bons, ils rendaient leurs vassaux heureux ; mais lorsqu'ils étaient méchants, ils exerçaient toutes sortes de tyrannies et de cruautés sur les pauvres paysans. Or, celui de qui Jean-Pierre était vassal avait le cœur dur ; il aimait beaucoup l'argent, et, pour s'en procurer, il accablait ses gens d'impositions. Il les faisait payer pour la taille, pour la dîme, pour la ceinture de la reine et pour cent autres inventions vexatoires. En voyant son seigneur, le meunier fut saisi de crainte, car cette visite ne
lui annonçait rien de bon.
" Holà ! Jean-Pierre, cria le baron sans descendre de son cheval, tu me dois six mois d'impositions. C'est dix écus que j'enverrai chercher demain par mon intendant.
- Monsieur le baron, répondit le meunier, accordez-moi encore trois mois de délai. Ma femme a été malade et si je vous donne dix écus, c'est tout ce que je possède ; il ne me restera plus rien.
- Je ne t'accorderai pas seulement trois jours, reprit le baron. Si tu ne me payes pas demain, on vendra tes meubles ; je t'arracherai de ta cabane et je te ferai travailler dans mes champs, à coups de bâton. "
Le seigneur partit au galop, sans écouter les plaintes de son vassal. Le lendemain, l'intendant du château arriva, portant une sacoche, et Jean-Pierre fut obliger de lui donner les dix écus ; c'était tout ce que le meunier avait
économisé depuis un mois. Les faveurs du vent et de la pluie se trouvaient ainsi perdues. Claudine se mit à pleurer de tout son cœur.
" Ne pleure pas, lui dit Jean-Pierre. Tout le monde n'est pas aussi méchant que M. le baron. Donne-moi mes souliers ferrés, ma canne et mon manteau de laine ; j'ai une visite à faire. Ne t'inquiète pas si je rentre tard à la maison ; ce sera pour te rapporter quelque bonne nouvelle. "
Claudine devina tout de suite que son mari lui cachait un secret. Elle essuya ses larmes et fit mille questions au meunier pour lui arracher ce secret ; mais il ne voulut point parler, et il partit avec ses souliers ferrés, sa canne et son manteau de laine. Après avoir traversé des champs et des prés, Jean-Pierre arriva au bas de la montagne du Midi. Il monta pendant trois heures dans un bois de sapins ; puis il trouva des bruyères désertes et, enfin, des rochers escarpés où il grimpa à l'aide de ses souliers ferrés et de sa canne. Il parvint au faîte de la montagne, avant le coucher du soleil. En voyant l'entrée d'une caverne, le meunier pensa que ce devait être l'habitation de M. le Vent. Comme la caverne paraissait profonde et obscure, Jean-Pierre ne se sentait pas trop rassuré. Il rassembla tout son courage, et
il entra en tâtant le terrain avec sa canne par précaution. A peine eut-il fait vingt-cinq pas, qu'il entendit à ses oreilles les voix des petits esprits.
" Soufflons sur cet étranger, disaient les voix. Arrachons-lui son manteau. Tâchons de lui enlever son chapeau. "
Mais Jean-Pierre tenait fortement son chapeau d'une main, et de l'autre son manteau de laine. Il aperçut enfin de la lumière, et il reconnut M. le Vent, assis devant une table et mangeant son dîner. Des feux follets voltigeaient pour éclairer la table ; d'autres esprits apportaient les plats et les flacons de vin du fond de deux grands trous qui servaient de cuisine et de cave.
" Qui vient là ? demanda M. le Vent.
- C'est moi, répondit le meunier ; je suis Jean-Pierre. Votre Excellence a daigné se reposer chez moi il y a un mois.
- Eh bien ! que me veux-tu ?
- Je ne sais, monseigneur, répondit le meunier en balbutiant.
- Imbécile ! s'écria M. le Vent, tu viens me déranger quand je suis à table, et tu ne sais pas seulement ce que tu as à me demander ! Je vois bien que j'ai accordé ma protection à un nigaud.
- Excusez-moi, reprit Jean-Pierre ; le respect me coupe la parole. Depuis que vous avez favorisé mon moulin, j'avais gagné dix écus ; M. le baron me les a enlevés ce matin, sous le prétexte d'un impôt. Je supplie Votre Excellence de me secourir ; je m'en rapporte à sa générosité.
- Je n'ai pas le temps de m'occuper de tes affaires, ni de te donner des conseils, dit le Vent d'un ton bourru. Tâche de savoir ce que tu désires et dis-le moi en peu de mots.
- Ce que je désire ! répéta le meunier : ce qu'il vous plaira de me donner, pourvu que cela m'empêche de mourir de faim, car j'en suis menacé.
- Tu ne mourras pas de faim, reprit M. le Vent avec plus de douceur. Qu'on donne à cet animal mon petit tonneau d'argent. "
Un esprit, qui avait des ailes de chauve-souris, apporta aussitôt un joli tonneau d'argent, pas plus grand que les petits barils où l'on enferme les olives. Un autre esprit apporta une baguette aussi d'argent, qu'il posa sur la table.
" Prends ce tonneau et cette baguette, dit M. le Vent. Quand tu seras chez toi, tu frapperas avec la baguette sur le petit baril, et tu verras… ce que tu verras. Maintenant va-t’en au diable et laisse-moi dîner en paix ! " | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:51 | |
| Chapitre 4
La nuit était tombée lorsque Jean-Pierre sortit de la caverne de M. le Vent. Il faillit se rompre le cou parmi les rochers ; il déchira son manteau de laine après les buissons et se mouilla les pieds dans un marais en dépit de ses souliers ferrés ; mais il ne lâcha point son baril ni sa baguette. Sa femme commençait à s'inquiéter, lorsque, à neuf heures du soir, le meunier rentra au logis. " Qu'est ceci ? demanda Claudine en voyant le petit tonneau. Où as-tu pris ce bijou magnifique ? Je savais bien que tu me cachais un secret d'importance. Il faut que tu m'expliques ce mystère tout à l'heure. Est-ce qu'il y a des pierres précieuses dans ce tonneau ? Quand il n'y aurait rien dedans, l'argent seul vaudrait au moins cent louis, sans compter la façon. Un orfèvre en donnerait une grosse somme. Parle donc Jean-Pierre ; je grille de savoir le secret. "
Le meunier raconta comment il avait reçu la visite de M. le Vent, comment ce personnage surnaturel lui avait promis sa protection et lui avait donné le tonneau et la baguette, en lui indiquant la manière de s'en servir. Jean- Pierre recommanda fort à sa femme de ne point parler de cette aventure aux commères du voisinage ; mais, au lieu d'écouter ses recommandations, Claudine se remit à babiller.
" Tu vois, lui dit-elle, que tu as eu tort de me cacher ce secret. Je suis plus fine que toi ; je t'aurais donné de bons conseils et tu ne serais pas resté les bras pendants, avec un air hébété, comme tu l'as fait, quand M. le Vent t'a demandé ce que tu voulais. Je t'aurais dit de lui répondre sans hésiter : " Donnez-moi dix mille livres. " Et tu serais revenu avec des écus sonnants au lieu de ce tonneau d'argent dont nous serons embarrassés de nous défaire.
- Qui sait ? répondit le meunier ; mon tonneau vaut peut-être plus que tu ne crois. Mettons-le d'abord à l'épreuve. "
Jean-Pierre posa le petit tonneau debout sur la table et, d'une main tremblante, il frappa dessus avec la baguette d'argent. Aussitôt le baril s'ouvrit en deux parties comme une armoire. D'un côté, il y avait une petite cuisine et, de l'autre, une office en miniature. Dans la cuisine, on voyait des broches grosses comme des aiguilles, des chaudrons grands comme des dés à coudre, des casseroles mignonnes et des poêles à frire à mourir de rire. Un cuisinier haut de trois pouces, le bonnet de coton sur l'oreille, et deux petits marmitons s'agitaient devant les fourneaux, soufflaient le feu, surveillaient la broche et goûtaient les sauces. Ils faisaient rôtir des dindons gros comme des abeilles et des poulets gros comme des mouches ; ils faisaient frire des poissons plus minces que des vers à soie qui viennent de naître et taillaient des choux pommés qui ressemblaient à des têtes d'épingle. Pendant ce temps-là, deux domestiques, de la même taille que le cuisinier, rangeaient la vaisselle dans l'office. Ils essuyaient des assiettes de porcelaine qui étaient grandes comme des pièces de cinq sous, et des verres qui semblaient faits pour donner à boire à des moineaux. Ils emplissaient les bouteilles avec deux gouttes de vin, et les carafes de cristal contenaient deux gouttes d'eau. En un tournemain, le dîner se trouva prêt.
Le meunier et sa femme restaient tout ébahis à regarder ce petit monde si prompt et si habile. Leur surprise fut bien plus grande quand ils virent les deux domestiques nains sortir du petit tonneau, sauter sur la table et y déposer tous les plats fumants, préparer deux couverts, ranger avec ordre le premier service, mettre à leur place les bouteilles et les carafes. Dans un coin de la chambre, ils placèrent le second service et le dessert, et puis ils rentrèrent dans leur petit office. Le tonneau d'argent se referma subitement, et Jean-Pierre et Claudine ne virent plus rien ; mais, au même instant, les plats qui étaient sur la table devinrent de véritables plats de la grosseur ordinaire, les poulets rôtis furent de véritables poulets rôtis, les poissons de bons gros poissons, les bouteilles de grandes bouteilles remplies de vin délicat, les couverts de bon gros couverts en bon argent. Jean-Pierre et sa femme se trouvèrent tout à coup en face d'un excellent souper servi pour deux personnes et où il y avait à manger pour quatre. Ils se mirent à table et soupèrent copieusement, car ils avaient faim. Les ragoûts étaient parfaits et les pièces de volaille cuites à point. Jean-Pierre but trois fois à la santé de M. le Vent, et, comme le vin était capiteux, le meunier se coucha, la tête un peu troublée ; il s'endormit et ronfla comme un chantre.
Claudine se coucha aussi ; mais elle ne fit que s'agiter dans le lit sans pouvoir dormir, tant elle avait hâte de voir le jour, pour aller conter cette aventure à sa voisine la laitière. La voisine ouvrit de grands yeux en écoutant cette histoire. Elle répéta plusieurs fois, en soupirant, que Claudine était bien heureuse d'être l'amie de M. le Vent, et de posséder le précieux baril d'argent.
Aussitôt la meunière partie, la laitière mit son panier sur sa tête, et s'en alla porter de la crème et du beurre au château. Elle ne manqua pas de raconter l'aventure de sa voisine au cuisinier. Le cuisinier raconta la nouvelle au valet de chambre, et le valet de chambre, tout en aidant son maître à s'habiller, lui apprit ce qui était arrivé à Jean-Pierre. Le baron conçut tout de suite le projet de s'emparer du petit tonneau d'argent ; c'est pourquoi il monta sur son cheval et s'en alla au moulin.
Lorsque M. le baron arriva au moulin, Jean-Pierre venait de se lever, et Claudine n'était pas encore revenue, car, en sortant de chez la laitière, elle avait couru raconter son aventure à sa voisine la blanchisseuse, à sa commère la bûcheronne, et à sa cousine la gardeuse de vaches.
" Jean-Pierre, dit le baron, M. le Vent, qui est de mes amis, m'a dit ce matin qu'il t'avait donné un petit tonneau d'argent dans lequel il y a une cuisine magique. Qu'as-tu besoin de manger des dindons rôtis dans une cabane
délabrée, avec des habits percés et des meubles vermoulus ? Il vaudrait mieux faire raccommoder ta masure par le maçon et le charpentier, acheter des habits bien chauds, des robes pour ta femme, et des armoires, du linge, des fauteuils pour meubler ta chaumière. Vends-moi ta petite cuisine. Je te donnerai dix mille livres, avec lesquelles tu pourras bâtir une autre maison, acquérir des champs, des bestiaux et des chevaux, et tu deviendras un riche propriétaire.
- Monsieur le baron, répondit le meunier, quand j'aurai dépensé mes dix milles livres, il ne me restera plus rien, tandis qu'avec mon petit tonneau, j'ai ma nourriture assurée pour toute la vie.
- Comment ! reprit le seigneur, n'est-ce rien que de posséder une bonne maison et de cultiver les champs ?
- C'est la vérité, dit Jean-Pierre ; des terres d'un bon produit valent mieux que des poulets rôtis. D'ailleurs, ma femme m'a grondé de n'avoir pas demandé à M. le Vent dix mille livres, et, puisque vous m'offrez cette somme, j'accepte le marché.
- A la bonne heure, dit le baron ; ta femme est une personne d'esprit. Voici mille francs que j'ai apportés avec moi ; je te payerai le reste dans quinze jours, et je vais t'en faire une promesse par écrit. Donne-moi ton baril d'argent. "
Le meunier donna le baril, prit le sac de mille francs, et, comme il ne savait pas lire, il accepta la promesse écrite de son seigneur sans en connaître le contenu. Le baron une fois parti avec le petit tonneau d'argent, Claudine ne tarda pas à rentrer. Jean-Pierre lui raconta le beau marché qu'il venait de faire. Aussitôt elle poussa des cris lamentables et s'arracha les cheveux.
" Ah ! sainte Vierge, disait-elle, faut-il que j'aie pour mari un homme qui se laisse tromper comme un sot ! Malheureuse que je suis d'avoir épousé ce maladroit ! "
Jean-Pierre se mit dans une colère épouvantable.
" Femme capricieuse, dit-il, ne m'as-tu pas reproché toi-même de n'avoir pas demandé dix mille livres à M. le Vent au lieu de ce petit tonneau ?
- Vilain niais, répondit la femme, quand j'ai dit cela, je ne savais pas encore ce que valait ce tonneau merveilleux. Ne vois-tu pas que les petits nains nous ont laissé de la vaisselle et des couverts ? Tous les jours, ils nous auraient donné de bonnes cuillers d'argent que nous aurions vendues à l'orfèvre. Pourquoi désire-t-on avoir des terres, une maison et des bestiaux ? N'est-ce pas pour manger des poulets rôtis ? Puisque nous les avions, ces poulets rôtis, à quoi bon courir après des champs et des bestiaux ? Les champs seront peut-être détruits par la grêle et les bestiaux mourront de maladie ; tandis qu'avec le petit tonneau nous étions certains de ne manquer de rien. M. le baron s'est moqué de toi. Il ne connaît pas M. le Vent ; il t'a trompé en disant qu'il était de ses amis, et peut-être ne payera-t-il pas, dans quinze jours, les neuf mille francs qu'il t'a promis. "
Jean-Pierre commençait à comprendre sa sottise. Au lieu d'en convenir, il se mit encore plus en colère.
" C'est donc par tes bavardages, dit-il, que M. le baron a appris mon secret. Tu es sortie ce matin pour aller répandre la nouvelle dans tout le pays. "
Au lieu d'avouer sa faute, Claudine redoubla ses plaintes. Elle appelait son mari imbécile ; Jean-Pierre appela sa femme carogne, et ils se querellèrent tant qu'ils purent, comme font les meuniers et les meunières ; après quoi ils se réconcilièrent parce qu'au fond le meunier était un bon mari et la meunière une bonne femme. | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:51 | |
| Chapitre 5
Ce que Claudine avait prévu arriva. Le baron, étant maître du petit tonneau magique, ne s'inquiéta plus de ses promesses. Quand le meunier vint au château présenter son billet, on le mit à la porte, en lui disant qu'il était insolent d'oser demander de l'argent à son seigneur. Jean-Pierre ne reçut donc que mille francs au lieu de dix mille qu'on lui avait promis. Ses regrets et son chagrin redoublèrent lorsqu'il apprit que le baril merveilleux servait tous les jours, dans la salle à manger du château, des dîners splendides pour autant de personnes qu'il plaisait au baron d'en inviter. Le seigneur n'avait plus besoin de cuisinier, et il renvoya ses marmitons. Les petits nains renouvelaient chaque fois le linge de la table, les assiettes, les plats et l'argenterie. Quoique très avare, M. le baron régalait souvent ses amis afin d'avoir, après le dîner, des restes si précieux, et bientôt il amassa tant de cuillers et de fourchettes qu'il n'en savait plus que faire. Jean-Pierre jurait ses grands dieux de ne jamais se laisser tromper par les offres de son seigneur, et Claudine se promettait de ne plus confier de secret à ses commères. Malheureusement ces sages résolutions ne réparaient point les sottises passées. Avec les mille francs qu'ils avaient reçus, le meunier et sa femme firent un peu raccommoder leur chaumière par le maçon et le charpentier. Ils achetèrent quelques ustensiles de ménage, et puis ils vécurent sur le reste pendant une année à force d'économie. Au bout de l'an, tout l'argent était dépensé. Jean-Pierre n'avait plus de courage au travail ; Claudine, inconsolable, négligeait son aiguille et sa basse-cour. Le souvenir du bonheur que ces pauvres gens avaient perdu empoisonnait leur vie, et ils se trouvaient plus que misérables et plus accablés que jamais. Jean-Pierre se décida enfin à faire une seconde visite à M. le Vent. Ne voulant mériter aucun reproche, il consulta sa femme.
" Cette fois, lui dit Claudine, il faut arriver dans la caverne avant l'heure du dîner de M. le Vent. Ne t'avise pas de lui raconter tes sottises ; dis-lui que ton seigneur t'a enlevé par force le petit tonneau d'argent. S'il te demande ce que tu désires, réponds tout de suite que tu voudrais un autre petit tonneau ou quelque chose d'aussi merveilleux."
Le meunier, ayant sa leçon préparée, se mit en route dès le point du jour avec ses souliers ferrés, sa canne et son manteau de laine. Comme il savait le chemin, il ne perdit pas de temps et il arriva devant la caverne à dix heures du matin. Cependant, le ciel s'était chargé de gros nuages rouges à l'horizon. Un orage se préparait. Les esprits de la caverne parlaient tous à la fois. M. le Vent demandait ses habits de voyage et se préparait à sortir. Lorsqu'il aperçut le meunier, il lui cria d'une voix de stentor :
" Maître Jean-Pierre, tu as le talent d'arriver toujours mal à propos. Il faut que je sois dans un quart d'heure au milieu de l'Océan. J'ai deux vaisseaux à faire naufrager ; va-t’en bien vite, ou sinon je te précipite du haut de la montagne dans la plaine.
- Monseigneur, répondit Jean-Pierre, au lieu de tourmenter ces pauvres vaisseaux qui ne vous ont rien fait, écoutez-moi ; je suis malheureux et persécuté. M. le baron est venu chez moi avec ses hommes de guerre et il m'a pris de force mon petit tonneau d'argent.
- Cela ne se peut pas, s'écria M. le Vent. Si on avait voulu te prendre le petit baril d'argent par la violence, il se serait enflé si gros qu'on n'aurait pu le faire sortir ni par la porte ni par la fenêtre. Tu l'as donc vendu ou donné volontairement. Tu es un menteur et un fourbe. Je ne sais à quoi tient que je ne te casse la tête. "
Jean-Pierre se jeta par terre à deux genoux :
" Pardonnez-moi, monseigneur, dit-il en pleurant. Si j'ai menti, c'est ma femme qui me l'a conseillé. Je suis au désespoir d'avoir mérité votre colère.
- Eh bien ! que me veux-tu ?
- Je voudrais un autre petit tonneau merveilleux.
- Qu'on lui donne donc mon petit tonneau d'or ; mais ce sera mon dernier présent. Que ce drôle ne revienne jamais dans ma caverne. S'il y remet les pieds, qu'on lui torde le cou à l'instant. "
Les esprits apportèrent un joli petit tonneau d'or et une baguette. Jean-Pierre mit le tout sous son bras et se sauva en courant. A peine fut-il hors de la caverne que l'orage éclata. Il entendit M. le Vent passer au-dessus de sa tête en volant d'une vitesse effroyable. Les esprits de la tempête accompagnèrent le meunier jusque chez lui avec des éclats de rire.
" Qu'il est heureux, disaient-ils, qu'il est heureux de posséder le petit tonneau d'or !
Oui, je suis heureux, répétait Jean-Pierre. Riez tant que vous voudrez ; je me moque de vous. "
Claudine attendait son mari avec une impatience extrême. Lorsqu'elle le vit revenir, portant le petit tonneau d'or, elle battit des mains et sauta de joie.
" Nous voilà riches pour toute notre vie, disait-elle. Ce ne sont plus des couverts d'argent que nous allons posséder, mais des cuillers et des fourchettes d'or. Nous les vendrons et, avec leur prix, nous pourrons acheter des domaines, des maisons et des châteaux. Quand même M. le baron nous offrirait cent mille écus, nous ne lui donnerions pas le tonneau d'or. Dépêche-toi, Jean-Pierre, dépêche-toi de frapper avec la baguette, car je n'ai point préparé le dîner tant j'avais de confiance dans la bonté de M. le Vent. "
Jean-Pierre posa le petit baril par terre et frappa un grand coup avec la baguette d'or. La bonde du tonneau s'ouvrit et il en sortit une fumée noire qui monta jusqu'au plafond de la chambre. Cette fumée prit une forme humaine. Jean-Pierre et sa femme distinguèrent une tête et un corps ; mais une tête grosse comme une citrouille, avec des traits affreux, et un corps gros comme le tronc d'un chêne. Le meunier se trouva en face d'un géant d'une force extraordinaire et armé d'un bâton. Aussitôt que le géant put se tenir sur ses pieds, il courut à Jean-Pierre, le saisit d'une main par le collet de sa veste et, de l'autre, il lui appliqua sur les reins vingt-cinq coups de bâton si terribles que le pauvre homme en poussa des cris pitoyables. Cela fait, le géant s'évanouit en fumée et rentra dans le petit tonneau comme il en était sorti. | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:52 | |
| Chapitre 6
Le meunier et sa femme ne pouvaient se consoler. Jean-Pierre resta pendant une heure étendu sur son lit à gémir ; Claudine pleurait amèrement et le petit Pierrot criait de toutes ses forces. La meunière mettait déjà son bonnet pour aller raconter cette aventure malheureuse à sa voisine la laitière, lorsque M. le baron vint à passer en revenant de la chasse avec ses valets et ses piqueurs. Le seigneur entra dans la chaumière pour se rafraîchir. " Que vois-je donc ? dit-il ; est-ce que ce petit baril d'or serait un nouveau cadeau de M. le Vent ?
- Précisément, monseigneur, répondit Jean-Pierre. J'arrive à l'instant avec mon tonneau merveilleux et je ne sais pas encore ce qu'il renferme.
- Il faut me vendre cela, mon ami, dit le baron.
- Nenni, nenni, monseigneur, répondit le meunier d'un air rusé. C'est assez de vous avoir vendu mon baril d'argent. Je ne recommencerai pas à faire la même faute.
- Cependant, si je t'offrais une somme plus forte que l'autre fois, douze mille livres, par exemple ?
- Je ne vous le donnerais pas pour quinze mille livres.
- Eh bien ! je t'en propose dix-huit mille.
- C'est vingt mille que j'en veux avoir.
- La somme est énorme ; mais j'ai de l'amitié pour toi, et je ferai ce sacrifice. Tu auras mille écus comptant, et pour le reste je te remettrai une promesse par écrit.
- Nenni, monseigneur. Je sais trop bien ce qui arrive à vos promesses signées. Vous me donnerez vingt mille livres comptant, en bons écus, ou vous n'aurez point le petit tonneau d'or, car je fais peut-être encore un mauvais marché.
Le baron avait tant peur de manquer l'occasion qu'il envoya un exprès au château demander vingt mille livres à son intendant. Au bout d'un quart d'heure, on apporta vingt sacs tout pleins d'écus. Jean-Pierre vérifia la somme, rangea les sacs dans son armoire et mit la clef dans sa poche ; puis il donna le petit baril d'or, et le seigneur partit enchanté de son acquisition.
A son retour au château, M. le baron s'enferma dans sa chambre pour essayer son petit tonneau merveilleux. Il frappa dessus avec la baguette, et aussitôt la fumée sortit en prenant la forme d'un géant, et le géant donna vingt-cinq coups de bâton au seigneur. Les gens de M. le baron l'entendirent pousser des cris aigus. Lorsqu'ils accoururent, ils trouvèrent leur maître étendu sur le carreau. Le géant était déjà rentré dans sa demeure et on ne sentait plus dans la chambre qu'une légère odeur de fumée. Comme le seigneur avait les reins moins durs que le meunier, il resta au lit pendant deux jours avec une courbature ; mais il ne voulait point se vanter des coups de bâton qu'il avait reçus. C'est pourquoi il ne parla de son aventure à personne. Il feignit même d'être content de posséder le petit tonneau d'or.
Cependant, le meunier et sa femme employèrent utilement leurs vingt mille livres. Ils achetèrent des prés et des champs ; ils firent abattre leur mauvaise cabane et bâtir à la place une belle ferme, avec des granges, des étables, des écuries et une bergerie où ils mirent un troupeau de moutons.
Jean-Pierre eut des valets de charrue, des travailleurs à ses gages, un garçon pour veiller au moulin. Au lieu de moudre du blé pour les autres, il fit de la farine avec le grain qu'il récoltait. Claudine acheta une robe de soie pour aller à la messe le dimanche. Aussitôt que Pierrot fut assez grand pour apprendre à lire, on l'envoya à l'école et, dès l'âge de six ans, il était déjà plus savant que son père et sa mère. Ces bonnes gens auraient pu vivre heureux et tranquilles sans la méchanceté de leur seigneur. M. le baron leur gardait rancune pour les coups de bâton qu'il avait reçus et les vingt mille livres qu'il avait payées. Il s'amusait à lâcher du gibier sur les terres de Jean-Pierre et, sous le prétexte de la chasse, il dévastait les champs avec ses chevaux, ses chiens et ses piqueurs. Le meunier avait beau se plaindre, on ne l'écoutait pas, et on recommençait le lendemain.
Un jour, le baron eut une querelle avec un autre seigneur du voisinage et il voulut lui faire la guerre. Ce fut un prétexte pour lever des impôts sur ses vassaux ; il en accabla Jean-Pierre, et lui prit ses valets de charrue pour en faire des soldats, et ses chevaux pour mener les soldats à la bataille. Le meunier, se voyant menacé de retomber dans la misère, se souvint alors des promesses que lui avait faites Mme la Pluie. Sans en parler à sa femme, il prit ses souliers ferrés, sa canne et son manteau de laine et s'en alla bien loin jusqu'à ce qu'il eût trouvé le bord de la mer et la grotte de l'Ouest. Un jour gris régnait dans cette grotte ; un brouillard léger en voilait l'entrée et l'humidité suintait à travers les rochers. De petits esprits y voltigeaient avec des ailes semblables à des nageoires. En passant, ils jetaient de l'eau sur le nez de Jean-Pierre et disaient tout bas :
" Mouillons, trempons cet indiscret. Perçons-lui son manteau. Pénétrons à travers ses chaussures. "
Mais Jean-Pierre releva le collet de son manteau et marcha hardiment jusqu'au fond de la grotte. Il y trouva Mme la Pluie entourée de nymphes grises, languissantes et enrhumées comme elle. On était alors dans le cœur de l'été ; la Pluie en profitait pour faire ses provisions. Les petits esprits apportaient une à une les gouttes d'eau que le soleil avait enlevées sur la mer, dans les rivières, les bois, les marais et les prairies. Les nymphes recevaient ces gouttes d'eau dans des coupes d'or et les jetaient ensuite dans un grand réservoir. Lorsque Mme la Pluie aperçut Jean-Pierre, elle se mit à bâiller, puis elle se moucha, et lui dit d'une voix lamentable :
" Quel est cet ennuyeux personnage qui vient me troubler dans mes occupations ?
- Madame, répondit le meunier, je suis Jean-Pierre, chez qui vous avez pris un peu de repos il y a longtemps. Vous m'avez promis de vous intéresser au sort de mon enfant. Le petit Pierrot aura bientôt sept ans, je viens vous prier de faire quelque chose pour lui. Il le mérite par sa sagesse, puisqu'il sait déjà lire couramment.
- Que veux-tu que je fasse pour lui ?
- Madame, je suis un pauvre paysan qui n'ai point d'idées. Je ne saurais quoi imaginer ; mais je m'en rapporte à vous.
- Rustre que tu es ! dit Mme la Pluie en éternuant, tu viens me déranger, et tu ne sais pas même ce que tu veux ! Il faut pourtant me débarrasser de cet homme. Puisque son fils sait lire, qu'on lui donne ma grande boîte de cuivre avec la baguette et le livre doré sur tranche. Si le petit Pierrot est moins bête que son père, c'est assez pour faire sa fortune.
Les esprits apportèrent la grande boîte de cuivre, la baguette et le livre doré sur tranche. Jean-Pierre mit le tout sous son bras et s'enfuit en courant. | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:53 | |
| Chapitre 7
" Ma femme, dit le meunier en arrivant chez lui tout essoufflé, voici un superbe cadeau que Mme la Pluie m'a donné. Elle m'a assuré que, si notre petit Pierrot était moins bête que moi, il y aurait là dedans de quoi faire sa fortune. - Grand Dieu ! s'écria Claudine, tu avais donc encore un secret que tu ne me disais point ? Est-il possible que tu l'aies gardé si longtemps ? Qu'est-ce que Mme la Pluie ? Qu'est-ce que cette boîte de cuivre ? Mais parle donc bien vite ; je n'en puis plus d'envie de savoir ce secret. "
Jean-Pierre raconta qu'il avait reçu la visite de Mme la Pluie dans la même nuit où M. le Vent était venu et qu'elle lui avait promis de faire du bien au petit Pierrot ; comment il l'était allé voir à la grotte de l'Ouest et comment elle lui avait donné la boîte de cuivre, la baguette et le livre doré sur tranche.
" Pourvu, disait Claudine en tremblant, qu'il n'y ait pas quelque nouveau géant dans cette boîte ! Pourvu que tout ceci ne finisse pas encore une fois par des coups de bâton !
- Ma mère, dit le petit Pierrot, donnez-moi le livre ; je verrai ce qui est écrit dedans.
Pierrot ouvrit le livre doré sur tranche, et il lut ces mots écrits au frontispice : " Douze comédies représentées par les marionnettes merveilleuses de la boîte de cuivre et inventées par Mme la Pluie, pour le divertissement des petits garçons et des petites filles. "
- Frappez sans crainte avec la baguette, s'écria Pierrot ; cette boîte est un théâtre de marionnettes.
Le meunier mit la boîte de cuivre sur la table, prit la baguette et frappa sur le couvercle. Aussitôt la boîte merveilleuse s'ouvrit ; le compartiment de devant s'abattit et l'on aperçut un théâtre fermé par un rideau rouge. De petites bougies allumées formaient la rampe. On entendit les trois coups qui annonçaient que la pièce allait commencer ; la toile se leva, et l'on vit une belle décoration représentant une forêt. Une marionnette de bois, haute de cinq à six pouces, sortit de la coulisse et se mit à faire des gestes si expressifs que Pierrot reconnut tout de suite la première scène de la comédie dont il avait les paroles sous les yeux. Il passa derrière la table et lut à haute voix le rôle du petit acteur. Un autre personnage entra bientôt, et Pierrot, changeant de ton, lut son rôle. Il récita ainsi toute la première comédie qui s'appelait : Les Aventures de l'enchanteur Merlin. A la dernière scène, les petits acteurs de bois saluèrent le public ; la toile tomba et la boîte de cuivre se referma brusquement.
" Mon père, dit Pierrot, frappez encore sur la boîte merveilleuse ; nous verrons sans doute la seconde comédie qui s'appelle : Les Amours du chevalier Jasmin et de la princesse Églantine. "
Jean-Pierre prit la baguette et frappa sur la boîte. Le théâtre s'ouvrit de nouveau, et l'on vit, en effet, paraître la belle Églantine avec sa robe rose. Pierre récita les rôles en prenant une douce voix quand la princesse parlait et une voix grave quand c'était le tour du chevalier. Après la seconde comédie, la boîte se referma ; mais Jean-Pierre frappa encore avec sa baguette, et l'on vit la troisième comédie, qui s'appelait : Les Dons de la fée Patte-de-Mouche. Le meunier et sa femme veillèrent jusqu'à minuit pour regarder les douze comédies, et Pierrot récita tant de jolis discours qu'il en était un peu enroué.
" Ces comédies sont fort divertissantes, disait Jean-Pierre ; mais ce théâtre n'est qu'un joujou et je ne comprends pas comment il pourra faire la fortune de Pierrot.
- Je le comprends bien, moi, dit Claudine. Tout le monde voudra voir notre spectacle merveilleux. Pierrot s'en ira dans les châteaux du voisinage avec la boîte de cuivre, la baguette et le livre doré sur tranche. Il amusera les enfants des seigneurs, on le régalera, il recevra des cadeaux et qui sait ? peut-être, un jour, il épousera une princesse Églantine comme le chevalier Jasmin.
- Ce sont des rêveries que ces idées-là, murmura Jean-Pierre en s'endormant. | |
| | | Solène Éloquent
Nombre de messages : 4229 Date d'inscription : 06/10/2004
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE Mar 3 Jan - 16:53 | |
| Chapitre 8
Le lendemain, au point du jour, Claudine mit son bonnet et sortit de la ferme pour aller raconter la nouvelle à sa voisine la laitière. Elle mêla si bien dans son discours Mme la Pluie, la grotte de l'Ouest et les nymphes avec l'enchanteur Merlin et la princesse Églantine que la voisine la crut folle. Cependant, la laitière, en portant sa crème et son beurre au château, ne manqua pas de raconter l'aventure comme elle put au cuisinier. Le cuisinier en parla au valet de chambre, qui s'en alla trouver M. le baron. Jean-Pierre vit arriver son seigneur à la ferme. " Mon ami, dit le baron, j'ai rencontré tout à l'heure dans un bois Mme la Pluie qui est une amie de ma femme. Elle m'a parlé d'une boîte de cuivre dans laquelle est un théâtre de marionnettes et m'a conseillé de te l'acheter pour amuser mes enfants.
- Cette boîte merveilleuse ne m'appartient pas, répondit le meunier. Elle a été donnée à mon fils Pierrot.
- Eh bien ! c'est à Pierrot que je l'achèterai. Qu'avez-vous besoin d'un théâtre ? Cela est bon pour des gens riches comme nous. Irez-vous perdre votre temps à regarder des marionnettes au lieu de travailler ? Une centaine d'écus valent mieux pour Pierrot que toutes les poupées du monde.
- Ce serait mon avis, répondit Jean-Pierre ; mais ma femme m'a trop grondé de vous avoir vendu le petit tonneau d'argent. Je ne ferai rien sans la consulter. "
Claudine rentra, et le seigneur lui offrit d'abord cent écus du théâtre magique, et puis mille livres, et enfin deux mille ; mais la meunière ne voulut rien écouter. M. le baron se fâcha tout à fait en disant qu'on refusait ses offres pour le plaisir de le contrarier et qu'il saurait bien se venger.
Alors le petit Pierrot s'approcha en ôtant son bonnet et salua le baron :
" Monseigneur, dit-il, le théâtre merveilleux m'appartient. Si vous le permettez et si Mme la baronne veut bien me recevoir chez elle, je porterai mon théâtre au château et je ferai jouer mes acteurs devant vos enfants aussi souvent que vous me le demanderez.
- A la bonne heure ! dit le seigneur. Tu es un gentil garçon. Apporte ton spectacle ce soir après le dîner et je te donnerai quelque chose pour ta peine. "
Le soir arrivé, Pierrot mit la grande boîte de cuivre dans une brouette et s'en alla au château. Mme la baronne était une belle dame aimable, charitable et bonne, qui tâchait d'adoucir un peu l'humeur de son mari. Elle avait trois jolis enfants, une fille et deux garçons. Pierrot fut reçu à merveille. On le caressa, on lui donna des gâteaux, et la baronne lui glissa de l'argent dans la main. Pour le premier jour, Pierrot fit jouer à ses marionnettes la première comédie seulement et on la trouve si jolie qu'on le pria de revenir le lendemain. Le second jour, il montra la seconde comédie, et ainsi de suite jusqu'au douzième jour. Quand ce fut fini, on voulut recommencer. Pierrot prit donc l'habitude d'aller au château tous les jours ; jamais il ne retournait à la ferme sans avoir reçu des caresses, des gâteaux et de l'argent, et le meunier, en voyant son fils revenir chaque soir avec les poches pleines, comprit enfin tout ce que valait le cadeau de Mme la Pluie.
La petite fille de la baronne, qui était du même âge que Pierrot, aimait passionnément les comédies de marionnettes. On l'appelait Marguerite. Elle avait les plus jolis yeux bleus et les plus beaux cheveux blonds du monde ; mais elle était sage, douce et toujours de bonne humeur, ce qui vaut mieux que d'être belle. Pierrot l'aimait beaucoup, et Mlle Marguerite avait aussi de l'amitié pour lui. Un soir, après le spectacle, elle soupira en disant :
" Tu es bien heureux, Pierrot, d'avoir un théâtre merveilleux. Mme la Pluie t'a donné là un joujou digne d'une princesse.
- Mademoiselle, répondit Pierrot, je suis bien heureux, en effet, de posséder une chose qui vous plaise afin de pouvoir vous la donner. Si mon théâtre est digne d'une princesse, vous le trouverez peut-être digne de vous, et je vous l'offre de tout mon cœur.
Marguerite avait grande envie d'accepter le présent ; mais la baronne s'y opposa.
" Pierrot, dit-elle tu es trop généreux. Garde ta boîte magique. Ma fille ne veut pas t'en priver.
- Laissez-le, dit le baron ; s'il lui convient de donner son théâtre à Marguerite, il ne faut pas l'en empêcher. Ne te gêne pas, mon garçon. Ma fille acceptera le cadeau sans se faire prier.
- Mademoiselle, reprit Pierrot, le théâtre vous appartient. Voici la baguette magique. Amusez-vous avec les marionnettes autant que vous voudrez... "
Lorsque Jean-Pierre apprit que son fils avait donné la boîte de cuivre, il se mit en colère.
" Ne vous fâchez pas, mon père, lui dit Pierrot. Il est vrai que j'ai donné la boîte et la baguette ; mais j'ai gardé le livre doré sur tranche, et vous verrez qu'on m'enverra chercher demain, comme à l'ordinaire, pour réciter la comédie. "
Le meunier n'écoutait rien et s'apprêtait à fouetter son fils ; heureusement Claudine prit le petit Pierrot dans ses bras.
" Jean-Pierre, dit-elle à son mari, notre garçon en sait plus long que toi. Ce qu'il dit est raisonnable. Attends au moins jusqu'à demain avant de fouetter. "
Un domestique du château vint chercher Pierrot le lendemain, comme à l'ordinaire, car on avait besoin de lui pour faire parler les marionnettes. Après la comédie, Marguerite soupira en disant :
" Mon cher Pierrot, si tu ne me donnes pas le livre doré sur tranche, ton joli présent ne me servira à rien.
- Voici le livre, répondit Pierrot. Je le gardais pour avoir le plaisir de vous montrer moi-même le spectacle ; mais puisque vous désirez l'avoir, je vous le donne. "
Jean-Pierre se mit dans une colère terrible, en apprenant que son fils n'avait plus le livre doré sur tranche.
" Mon père, lui dit Pierrot, je n'ai pu résister au plaisir d'obliger Mlle Marguerite ; j'espère que nous nous en trouverons bien. M. le baron ne nous tourmentera plus ; Mme la baronne lui parlera en notre faveur, et j'aurai gagné l'amitié de la plus aimable demoiselle qui soit au monde. "
Le meunier voulait absolument fouetter son fils. Heureusement Claudine emporta Pierrot en disant :
" Attends un peu, Jean-Pierre ; attends au moins que nous sachions si ce que dit notre enfant arrivera. "
Mais le lendemain le domestique du château ne vint pas comme à l'ordinaire.
" On n'a plus besoin de moi, disait Pierrot, et on m'oublie ; mais je ne regrette rien puisque j'ai fait plaisir à Mlle Marguerite. " | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE | |
| |
| | | | MONSIEUR LE VENT ET MADAME LA PLUIE :PRÉFACE | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|