La montagne de Cristal
Il y avait, il y a très longtemps, dans le temps d'avant le temps, un royaume étrange. Un royaume vide, désert, dominé par une montagne de cristal, si transparent, si lisse, ce cristal, que les gouttes de pluie glissaient dessus sans qu'il soit mouillé. Rien, aucune graine, aucune fleur, rien ne pouvait s'accrocher aux flancs de ce roc translucide.
Même la lumière passait au travers sans s'arrêter.
Au sommet, un palais du même cristal était ciseléet, au centre du palais, un enfant. Un petit prince, solitaire et préservé, qui avait étédéposé, là, depuis toujours.
D'innombrables mains, invisibles et efficaces, devançaient le moindre besoin, le plus petit désir du prince . S'il avait froid, aussitôt, une douce et chaude couverture glissait sur lui.
S'il avait soif, des boissons sucrées, délicieuses, se présentaient à portée de main.
A peine désirait-il entendre quelque chose que tout un orchestre apparaissait dans le palais.
Il était entouréde tous les jouets imaginables, de peluches géantes, de petites voitures parfaitement imitées, avec les portes qui s'ouvrent et même de petits moteurs qui tournaient dans un doux ronronnement. Il avait des villes entières en légo et des puzzles en trois dimensions.
Des merveilles de jouets que l'on n'ose même pas rêver...
S'il avait le pouvoir de tout faire apparaître, il avait aussi celui de tout faire disparaître. Et, ce jour-là, il avait tout fait disparaître.
Il était seul au centre du palais.
IL S'ENNUYAIT.
Alors, comme souvent pour s'occuper, il se mit à manger .
Il mangeait, il mangeait, IL MANGEAIT.
De plus en plus, des choses de plus en plus grosses, de plus en plus énormes, il mangeait, il mangeait sans pouvoir s'arrêter. Tout ce qui lui passait par la tête, aussitôt, il l'avait devant lui et le dévorait :
une forêt de frites, une tour de steaks hachés, une montagne de gâteaux....
Il eut envie de glace à la fraise : elle apparut, il commença à l'avaler, l'avaler, au début, c'était bon, délicieux, mais il n'en pouvait plus et en même temps, il ne pouvait s'empêcher d'avaler....
Et la glace grossissait, grossissait, il allait éclater, elle grossissait plus vite qu'il ne pouvait la manger, il n'en pouvait vraiment plus mais comme il pensait toujours à elle, elle continuait à surgir encore et encore....
Elle se mit à fondre aussi et à envahir tout le palais, ça montait, ça montait....
Bientôt, le prince dut nager dans la glace fondue pour continuer à respirer, il ne pouvait plus l'arrêter.
Lui, il n'avait rien où s'accrocher, tout était glace fondue, tout était fraise dégoulinante et collante. Le prince s'épuisa vite à nager là-dedans, il n'avait plus de force, plus aucune force.
Bientôt, il allait mourir noyé! ! !
C'est alors que se produisit une chose tout à fait inhabituelle : au moment où le prince allait disparaître et s'enfoncer sous la glace, il fut soulevépar un être inconnu, qu'il n'avait pas pensé, pas appelé, pas désiré, un intrus dans son monde ! ! !
" Accroche-toi à mon cou, je vais te sortir de là. "
Il avait de petits yeux doux et rieurs, une sorte de museau allongé, la peau très douce et une belle forme fuselée.
" Qui es-tu ?...Que fais-tu là ?
- Je suis un dauphin.
- D'où viens-tu ? Je ne t'ai jamais vu, jamais imaginé!
- Je viens de l'océan immense qui entoure ta montagne de cristal. Cela fait longtemps que je t'observe, petit bonhomme tout seul dans ta bulle transparente. Quand j'ai vu qu'elle devenait toute rose, toute rose et que ça ne s'arrêtait pas, je me suis inquiétépour toi...et je suis venu.
- Comme ça, pour rien ?
- Oui, pour rien...Enfin, pour toi....Depuis le temps que je te regarde, j'ai envie d'être ton ami...Tu veux bien ?
- Heu...Je ne sais pas ce que c'est, un ami...Mais je veux bien essayer...
- Viens vite, la glace va nous submerger, viens avec moi dans l'océan ... "
Le prince s'accrocha au cou du dauphin qui se mit à nager vers une fenêtre du palais.
" Attention, tu es prêt pour le grand plongeon ?
- Oui. "
Le prince eut un peu peur, c'était la première fois qu'il quitterait sa montagne de cristal, il sentit bien qu'il ne pourrait pas y revenir, il ne connaissait que son palais, que les mains invisibles qui satisfaisaient ses désirs, tous ses désirs...Comment serait sa vie désormais ?...Il serait seul avec ce nouvel "ami "...L'océan immense tout à coup l'effraya.
" N'aie pas peur, je te protégerai, viens, s'il te plaît, viens avec moi ! "
Et l'on put voir le prince, sur le dos du dauphin, glisser, glisser le long du cristal de la montagne comme le long d'un toboggan immense, on les vit s'éloigner, bondissant par dessus les vagues tandis que le rose de la glace à la fraise formait dans l'eau de l'océan une belle barrière de corail...
Et le petit prince glissa à l'oreille du dauphin : " Tu sais, c'est la première fois que j'ai un ami... "
FIN