GENESE au féminin
contes parfois rimés
GENESE au féminin
S’appelait-elle Eve ? je ne le jure pas
mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle s’endormait seule
et n’avait de ce fait aucune sorte de peine
à se lever matin dès le potron-minet.
Partant d’un pas léger, dansant d’un pied sur l’autre
dans la fraîche rosée, elle allait se baigner
chaque jour à la source, dans le creux d’un rocher ;
quand elle y pénétrait, l’eau d’abord se troublait
du plaisir de se voir un instant tourmentée,
puis elle frissonnait, redevenait limpide,
et comme par magie, renvoyait une image.
Eve se regardait, souriant du coin des yeux
ou faisant la grimace, c’était selon le temps.
Elle n’était pas la seule à se trouver jolie,
frère Soleil ,le malin, était là avant elle,
caché au fond du trou, il la guignait, le drôle ;
leurs regards se croisaient , elle, jouait l’étonnée
et baissait les paupières ; pourtant elle ignorait
encore qu’elle était nue, mais les filles sont ainsi ,
savent tout avant nous, c’est dire qu’elles ont du flair.
Après s’être baignée, elle s’offrait aux rayons
de l’astre matinal et le bel Apollon
lui faisait mille caresses, en tout bien, tout honneur ;
mais ! c’est pour la sécher se justifiait-il
aux étoiles jalouses qui lui tournèrent le dos
et désertèrent le jour, pour vivre dans la nuit.
Quand elle était bien sèche, Eve s’en retournait
sifflant une chanson apprise d’un oiseau,
s’arrêtant pour cueillir un fruit ou une fleur
ou bien tout simplement pour rêver d’ autres choses
que de ce paradis ou tout était parfait :
les hivers étaient doux et les printemps joyeux ,
les étés lumineux, les automnes féconds;
le cycle était immuable et toujours sans surprise,
aucun coup de théâtre, et nul guet-apens
ne venaient rompre l’ordre quasi mathématique
d’une suite de jours qu’on aurait dit clonés
tant ils se ressemblaient; ..des jours, des mois, un an
au pire, passent encore, mais quand on compte en siècles !
comme c’est ennuyeux ! et rien que d’y penser ;
un jour : tout devient gris, le monde perd sa saveur ,
la tristesse la gagne ;d’autant qu’elle a bien vu,
que dans ce grand jardin les êtres vont par deux :
un et une, il et elle, et cela semble bon
à tous sans exception. Alors pourquoi pas elle ?
Elle en perd tout envie de siffler, de danser ;
cela ne peux durer, il faut faire quelque chose !
et c’est d’un pas pesant qu’ elle s’en va trouver Dieu,
qu’elle surprend au jardin à cocooner Ses roses.
Bonjour! Dieu que ces fleurs sont belles !
et ce parfum tout de velours
que la lumière leur cisèle
bien avant que pointe le jour…
C’est pour Me dire cela que tu viens si matin ?
Depuis des millénaires et sans jamais faillir,
Mes roses exhalent de Pâques à Martin
et ce n’est qu’aujourd’hui que tu les vois fleurir,
et tu cries au miracle pour ce fait quotidien ;
Je n’ose croire que tu feins de découvrir
et Ma surprise est grande, mais cela ne fait rien,
ton compliment pour Moi est cause de plaisir.
Mais est-ce pour cela que tu as pris la route ?
ta lèvre fait la lippe comme au plus mauvais jour
vas-tu Me dire un peu , ôte-Moi donc le doute,
es-tu lasse d’être plus belle que l’amour.
Non ce n’est pas cela, mais heu !
quand tout le monde va par deux,
je me languis seule à me taire ;
je n’ai personne à qui parler,
Personne pour me faire chavirer
et me donner envie de plaire …
.Je voudrais pouvoir me blottir…
Fermer les yeux, écouter dire…
J’ai compris et Je sais ce que ton cœur désire
Tout autant que ton corps, cela va pas sans dire :
Tu veux un compagnon ! il y a bien longtemps
Que J’y avais pensé et l’ébauche n’attend
Que très peu de retouches :la teinte des cheveux ?
La couleur du regard ? l’éclat au fond des yeux, ?
Je te donne le choix pour qu’il soit à ta guise :
Une peau de satin ou des poils qui frisent… ?
Tu le découvriras, apporté par l’aurore
Prends en le plus grand soin, un peu comme un trésor.
Ouais! mon bonheur est parfait
j’ai hâte de voir mon copain,
il me fait déjà de l’effet
mais en fera bien plus demain !
Il Me faut toutefois freiner un peu ta joie
En lui donnant le souffle, il M’a semblé lui voir
Quelques imperfections ,rien de grave Ma foi ;
ses qualités ne sont jamais aléatoires :
Hâbleur et paresseux, généreux , opiniâtre
Modeste et enthousiaste et souvent courageux
Egoïste et vantard, craintif, acariâtre
Sincère et délicat, tout pour être amoureux,
L’équilibre est fragile, ce sera la surprise ;
Toi qui trouvait la vie beaucoup trop monotone
Tu ne te plaindras pas qu’elle s’aromatise
d’épices venues d’orient quelque peu polissonnes;
Eve remercie Dieu et toute à son bonheur
regagne son logis, sautant d’un pied sur l’autre,
ne tenant plus sa joie, sifflant une chanson
qu’elle ne connaissait pas l’instant auparavant ;
et sa nuit fut si douce qu’elle rêva en couleur….
Et dès le lendemain , elle se voit réveillée
plus tôt que d’habitude par un bruit incongru,
elle s’assied sur sa couche et cherche du regard
qui peux lui joué un tour. Enfin elle se souvient !
se levant prestement elle entrouvre la porte
pour convier le soleil à éclairer la chambre
et elle distingue alors non loin d’elle, étendue,
une forme un peu longue qui ronfle de bonheur ;
curieuse, elle n’a pas peur et lentement s’approche,
elle est sûre maintenant que c’est là « son cadeau ».
Sans perdre une minute elle en fait l’inventaire :
ce visage carré… c’est vrai qu’il lui ressemble…
des bras beaucoup plus forts… il est bien plus grand qu’elle !
les hanches peu marquées et les petites fesses
musclées et rebondies lui font naître un sourire.
Elle le trouve très beau, quoique couvert de poils ;
Et ces poils l’empêchent de tout bien inspecter,
alors elle sort en hâte pour cueillir un brin d’herbe
et se met en devoir de chatouiller avec
douceur et légèreté le grand corps endormi,
imitant la bébête, qui monte, qui monte, qui monte …
insistant aux endroits qui y sont plus sensibles :
lèvres, narines, oreilles et d’autres plus intimes.
Adam, c’est là son nom, frisonne de plaisir
et tourne le visage vers elle et lui sourit ;
Le fixant du regard, elle lui dit bonjour ,
lui souhaite la bienvenue et un très bon séjour.
Adam se mord la lèvre et répond qu’il s’excuse
de ne pas avoir fait d’accueil plus empressé,
qu’il l’a tant attendue…et voici qu’elle est là …
Qu’il n’en croit pas ses yeux…, ne trouve pas les mots…
Elle lui répond : ben.. non !, que ce n’est pas possible,
qu’il ne pouvait l’attendre, puisqu’ il n’existait pas !
et que c’est elle même qui a fait la demande
d’avoir un compagnon comme toutes les créatures,
fatiguée qu’elle était de trop de solitude.
Alors là ! tu plaisantes et me fais rigoler,
s’esclaffe fort Adam, se grattant des deux mains
les poils de son buste qui cachent une cicatrice
dont il a oublié l’exacte provenance.
Cette plaisanterie, personne ne me l’a faite,
c’est vraiment la meilleure et depuis bien longtemps ;
j’étais là avant toi ! je suis le premier homme !
Eve se dit dans sa tête que çà commence mal.
Il a tant de bagout qu’elle finit par douter
et décide d’un coup, pour avoir le cœur net,
d’en appeler à Dieu, là bas dans son jardin.
Mais c’est Ma toute belle ! le diamant de Mes gestes
qui vient Me remercier de lui avoir donné
ce gentil compagnon. Je vois que tu protestes !
Tu regrettes déjà les joies de l’hyménée.
Mais non ! cela n’a rien à voir
Je suis seulement agacée !
Le bel Adam veux me faire croire
Qu’il était là le tout premier
Qu’est ce que cela peux faire ? serait-ce une disgrâce.
A naître la deuxième on naît toujours puînée
Avec ni plus, ni moins de mérite et de grâce
Que lorsque la naissance vous a faite l’aînée.
Cela fait que je crains le pire :
Qu’il use d’antériorité
Pour nous forcer à obéir,
Moi et celles de ma lignée ;
Et puis il peut la bailler belle,
Déclarant dans le même élan
Les droits à titre universel
De tous les hommes de son clan ;
Et la femme dans cette histoire,
Quel rôle va-t-il lui faire jouer ?
quel service va lui échoir ?
marcher toujours tête baissée ,
dès le matin faire la servante
prêter son corps pour engendrer…
ce sont des taches éprouvantes….
Dont on pourrait bien se passer.
Quitte donc cet état, qui te rend si amère,
Tu es bien la première née faite à mon image.
Oui ! j’en fais le serment sur le ciel et la terre.
Mais pour avoir la paix il te faut être sage,
Garder cela pour toi et ne pas t’en vanter ,
faire preuve d’humilité, oublier d’être fière,
Je t’entends me redire j’étais là en premier !…
Mais être première de deux, c’est être avant dernière.
Réfléchis donc, pourquoi te priver du plaisir
si grisant que de lui laisser croire le contraire,
lui laisser avaler des couleuvres sans rien dire
pendant des ans, des siècles et des millénaires.
Ce secret bien caché dans le fond de nos âmes,
C’est aussi le premier de nos secrets de femmes !
Michel Aguettaz Thonon les bains 2003
Conte publié sur conteur.com le 07-04-2004