Mathusalem
Si vous regardez dans le dictionnaire, au mot : Mathusalem, vous pourrez lire comme définition : prophète qui a vécu 969 ans. Un prophète, normalement c'est quelqu'un de bien, quelqu'un qui dit des bonnes paroles. Et ben, mon arrière grand-mère, ma nonna italienne disait que tout ça c'était pas vrai, qu'elle, elle connaissait la vraie histoire de Mathusalem.
Ma nonna venait d'Italie, plus précisément de la province de Frioul, dans les montagnes. Elle y parlait le fourlain, un patois italien. Elle disait que Mathusalem habitait en Italie, dans un petit village dans la province de Frioul.
Mathusalem avait 95 ans, il était détesté par tout le monde dans son village, c'était un voleur, un arnaqueur. Il avait pour habitude d'acheter pas cher à des gens dans le besoin et de revendre très, très cher à ceux qui avaient de l'argent. Il possédait son village et la moitié du village d'à côté. Tous les soirs, il comptait son argent.
Mais là-haut, dans le ciel, il se passait des choses.
Dans l'histoire de mon arrière grand-mère, y'a un paradis, c'est un endroit où l'on va quand on meurt si on est gentil, le purgatoire, ça c'est l'endroit où l'on va quand on sait pas encore si on est bon pour le paradis ou mauvais pour l'enfer. Ben, oui l'enfer c'est pour les méchants. Là-haut donc, il y a trois portes, la porte du paradis à gauche, la porte du purgatoire au milieu et la porte de l'enfer à droite. Le chef du paradis c'est le bon Dieu, le chef du purgatoire, c'est la mort et le chef de l'enfer c'est le diable.
Le bon dieu ce jour-là ouvre son grand registre. Sur ce registre sont notées toutes les personnes qui doivent mourir. Il lit à haute voix :
- Mathusalem 95 ans doit mourir.
Le Bon Dieu, il a plein de choses à faire, alors il a pas le temps d'aller chercher les âmes sur la terre. C'est le rôle de la mort, comme ça elle les garde au purgatoire jusqu'à ce que l'on sache si l'âme du mort (son esprit), doit aller au Paradis ou en enfer.
Le Bon Dieu sort du Paradis et va frapper à la porte du purgatoire. La mort lui ouvre, fidèle à elle-même, sa grande cape noire avec un grand capuchon posé sur son squelette :
- Tiens, mon Dieu, qu'est-ce que tu viens faire par ici ?
- C'est Mathusalem, il a 95 ans, il doit mourir, il est temps que tu ailles le chercher.
- Pas de problèmes, tu sais que c'est toujours un plaisir d'aller chercher une âme sur la terre.
Elle a pris une grande faux qui lui servait à couper les têtes de ceux qui ne voulaient pas la suivre. Puis elle est descendue par le chemin des trois portes, celui qui menait à la terre.
Arrivée près de la maison de Mathusalem, elle a redressé sa faux. Elle s'est approchée de la porte et a frappé trois fois. Mathusalem a ouvert, l'a regardé de haut en bas et puis il a dit :
- J'ai déjà donné pour les pauvres.
Il claque la porte. La mort enrage sous son capuchon. Elle frappe à nouveau. Mathusalem ouvre :
- Mais qu'est-ce qu'il y a , à la fin. Encore vous !
- Oui et tu ne me reconnais pas ?
- On s'est déjà vu ?
- Non, moi, on ne me voit qu'une fois et c'est la dernière ! Tu ne me reconnais pas, la faux, le squelette, la cape noire, le capuchon.
Mathusalem hésite et puis :
- Ah ! Mais oui, vous êtes la mort ! Et qu'est-ce que vous faites par ici ?
- Je suis venu te chercher !
- Pourquoi ?
- Parce qu'il est temps pour toi de mourir !
- Ah ! Mais non, il est trop tôt, j'ai pas encore amassé assez d'argent, il faut que vous reveniez plus tard.
- Non, mais pour qui tu te prends. Quand c'est le moment, tu n'as pas le choix.
Et elle lève sa faux bien aiguisée.
- Ceux qui refusent de me suivre, je leur coupe la tête !
- Bon, très bien je vais venir, je peux prendre quelques affaires.
- Vas-y ! Mais dépêche !
Mathusalem va dans sa chambre et prend une valise. Il l'ouvre et commence à mettre des affaires dedans. En même temps, il réfléchit à comment il pourrait faire pour échapper à la mort…. Soudain, sur l'étagère de son placard, au fond, il voit quelque chose qui brille… Il le prend dans sa main, c'est un paquet de bonbons. Mais pas n'importe quel bonbon, des bonbons tellement bons que quand on en mange un on en mange deux puis trois …. Jusqu'à manger tout le paquet. Un sourire vient sur son visage. Il prend le paquet de bonbons, attrape un vieux sac à pomme de terre (mais pas comme les sacs de maintenant, avec plein de trous. non, un sac comme avant, comme dans le temps, un sac en toile de jute bien solide) Il jette les bonbons au fond et commence à se plaindre :
- Aïe, ouille, j'ai mal au dos. C'est quand même bête, y'a des bonbons dans ce sac et je ne peux même pas les attraper.
La mort se lève et entre dans la chambre de Mathusalem :
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Je dis que dans ce sac, il y a des bonbons très bons et que je ne peux pas aller les chercher car j'ai mal au dos.
- Oh ! des bonbons, dit la mort d'un air intéressé, tu sais, au purgatoire, y'a pas de bonbons. Si tu me promets de m'en donner, je peux aller les chercher pour toi.
- Tu pourrais faire ça pour moi, vas-y, avec plaisir, mange des bonbons.
La mort se précipite dans le sac et attrape un des bonbons. Elle ne peut s'empêcher d'y goûter. Mais ils sont tellement bons ces bonbons qu'elle en mange un puis deux, puis trois… .Il n'en reste bientôt plus qu'un, coincé dans un des replis du sac, au fond. Elle prend son index rempli d'os et elle gratouille le sac pour essayer d'attraper le bonbon. Comme elle n'y arrive pas elle entre complètement dans le sac. Mathusalem n'attendait que ça. Il ferme le sac avec une corde, il fait trois gros nœuds. Puis il dit à la mort :
- Ah ! Tu voulais me tuer, et bien, tu vas rester dans ce sac pendant 7 jours et pendant 7 nuits.
Il prend un bâton gigantesque et se met à frapper le sac de toutes ses forces. La mort hurle, lui demande de la laisser sortir :
- Non, pas question, je ne te laisserais pas sortir, tu resteras là pendant 7 jours et 7 nuits. Je te taperais durant tout ce temps !
- Laisse-moi sortir !
- Non, je vais te taper tellement que tu ne reviendras jamais me chercher !
- Mais, laisse moi partir maintenant, je te promets que je ne viendrais plus.
- Non, 7 jours et 7 nuits !
On entendait les os qui se brisaient, qui s'entrechoquaient, qui craquaient et la mort hurlait. Dans le village, les habitants s'inquiétaient. Ils se disaient que Mathusalem, en plus d'être un cupide, un avare et un arnaqueur devait être devenu sorcier ! Plus personne ne s'approchait de sa maison.
Au bout de 7 jours et 7 nuits, Mathusalem relâche la mort. Elle n'a pas marché, elle n'a pas couru, elle a volé jusqu'au purgatoire. Elle s'est enfermée à l'intérieur et a ajouté trois verrous à sa porte, un en bas, un au milieu et un en haut, de peur que Mathusalem vienne un jour par là.
Mathusalem a continué de vivre tranquillement, il continuait d'amasser de l'argent, il possédait l'Italie et la moitié du pays d'à côté. Sa fortune était grande. Il avait 250 ans. L'idée lui vient que peut-être là-haut, dans le ciel, ils vont s'apercevoir qu'il est toujours vivant. Peut-être même qu'ils vont revenir le chercher. Il faut qu'il prépare un piège, mais quoi ?? Il regarde autour de lui … Par la fenêtre de sa cuisine, il voit son cerisier. A cette époque de l'année, il est rempli de cerises magnifiques. Elles sont grosses, juteuses, on dirait qu'on leur a injecté du miel, tellement elles sont bonnes.
Mathusalem a une idée. Il ouvre un tiroir de son armoire et prend de la glu, de la super-glu, de celle que, quand on attache on détache pas. Il répand la glu sur les cerises. Et tout content, il prépare une valise vide qu'il met à côté de la porte. Il a eu une bonne intuition car là-haut dans le ciel, le bon dieu regarde son registre :
- Mathusalem, 250 ans ! Quoi ! Mais comment est-ce possible ?
Un peu énervé, il sort du paradis et va frapper à la porte du purgatoire. La mort ouvre ses trois verrous puis la porte :
- Mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a ?
- Qu'est-ce qu'il y a !!! Mais Mathusalem a 250 ans alors que tu devais aller le chercher à 95 ans ??
- Ah ! Ton Mathusalem, c'est le diable lui-même qui doit aller le chercher. Je ne veux plus en entendre parler !
Et la mort lui claque la porte au nez. Le bon dieu n'aime pas aller voir le diable. Mais il y est bien obligé. Il va frapper à la porte de l'enfer, le diable lui ouvre, fidèle à lui-même, habillé tout en rouge, les deux cornes sur la tête, la queue fourchue au derrière et les sabots aux pieds. En voyant le bon dieu, il sourit :
- Tiens mon dieu, qu'est-ce que tu viens faire par ici ?
- Msdjdgozdhmathusnc250 anslcdiuhaller le chercher.
- Qu'est-ce que tu dis ? j'ai rien compris.
Mais le bon dieu était tellement mécontent de demander un service au diable qu'il bafouillait et n'arrivait pas à dire les mots clairement.
- Tu dois cdch aller doci mathusalem 250 ans.
- Quooi ? Mais articule !
- Tu dois aller chercher Mathusalem qui a 250 ans ! Voilà !
- Tu veux dire qu'il y en a un que t'as pas réussi à rendre bon, ricane le diable, pas de problème, je vais le chercher pour toi.
Le bon dieu, soulagé, repart au Paradis.
Le diable tranquillement met sa cape rouge, prend son trident (fourche à trois pics) en main, pour piquer les fesses de Mathusalem si dès fois il ne veut pas venir. Il descend par le chemin des trois portes et arrive devant la maison de Mathusalem.
Mathusalem l'attendait. Au moment même où le diable apparaissait sur le chemin, Mathusalem regardait par la fenêtre. Dès qu'il a vu le diable, il a pris sa valise et a ouvert sa porte.
Il sort en courant et se jette dans les bras du diable :
- Oh ! Mon Diable, heureusement que tu es là, emmène-moi dans ton enfer. Je m'ennuie ici. Je pensais que la mort allait revenir mais je l'attends encore. Dis, tu veux bien m'emmener.
- Ben, oui, dit le diable surpris, viens avec moi.
Mais en passant près de l'arbre aux cerises, le diable ne peut s'empêcher de les regarder. Mathusalem le remarque et l'air de rien lui dit :
- Elles sont belles mes cerises, t'as vu ?
- Oh que oui, elles sont belles ! Tu sais en enfer, il fait tellement chaud à cause des marmites où cuisent tous ceux qui l'ont mérité, les fours, les feux que rien ne pousse. Quelquefois un cactus veut bien grandir mais rien à voir avec tes cerises.
- Si j'étais plus jeune, je grimperais à l'arbre pour t'en cueillir. Mais à 250 ans, il vaut mieux se tenir tranquille. Mais, toi, tu peux y aller, tu en cueilles autant que tu veux.
- Ça c'est une bonne idée !
Le diable d'un bond se retrouve sur le cerisier. Il se rend vite compte qu'il est collé, plus il essaie de se décoller et plus il se colle :
- Mais qu'est-ce qui se passe ? Fais quelque chose, aide-moi.
- T'aider, Mathusalem se met à rire, t'aider, jamais, tu vas rester accrocher là pendant tout l'hiver et tu supporteras, le froid glacial qui vient du nord, la grêle, la neige, le gel.
- Non, pas ça. En enfer, il fait 55 degrés à l'ombre, tu ne peux pas me laisser dans le froid.
Mais Mathusalem l'a laissé tout l'hiver sur l'arbre. À la fin de l'hiver, il était blanc, il avait gelé. Quand Mathusalem l'a décollé, le diable n'a pas volé jusqu'en enfer, il s'est carrément volatilisé. Arrivé dans son enfer, il a installé un œilleton pour voir qui était derrière la porte avant d'ouvrir. Dès fois que Mathusalem viendrait.
Mathusalem a continué de vivre et d'amasser de l'argent. Il est arrivé à l'âge de 969 ans. Il possédait la terre entière, il n'avait plus rien à acheter ou à voler. Il s'ennuyait. Un jour, il se dit que de toute façon, vu ce qu'il a fait, plus personne ne viendra le chercher d'en haut. Alors résigné, il prépare sa valise et s'en va par le chemin des trois portes pour mourir.
Arrivé là-haut, devant les trois portes, il hésite et puis se dit qu'après tout ce qu'il a fait, il ne peut aller qu'en enfer.
Alors il frappe à la porte de l'enfer. Le diable regarde par son œilleton et scrute l'homme devant sa porte :
- Qui es-tu ?
- Tu ne me reconnais pas, c'est Mathusalem, bon, j'ai été un peu dur avec toi, mais maintenant je suis prêt à mourir ? Ouvre-moi ta porte que je rentre dans ton enfer.
- Pas question ! jamais je ne te recevrais ici !
Et le diable s'en est allé.
- Zut ! Qu'est-ce que je vais faire ? Où je vais aller ? Le purgatoire, mais oui, je lui ai donné des bonbons quand même à la mort. Elle va s'en rappeler.
Il frappe à la porte du purgatoire. La mort ouvre un à un ses trois verrous et ouvre la porte. Quand elle voit Mathusalem, elle ne dit rien au début. Mathusalem se met à sourire :
- Tu te souviens de moi, je t'avais offert des bonbons.
La mort n'a pas parlé, elle s'est mise à hurler. Elle est partie au fin fond du purgatoire et il paraît que depuis ce jour-là elle tourne sur elle-même en hochant la tête et en disant : Mathusalem, Mathusalem, Mathusalem. Elle a fait une dépression nerveuse.
C'est pourquoi y'a autant de mort sur la terre, c'est la pagaille car c'est ses enfants qui font le travail et ils sont trop jeunes, ils ne savent pas gérer.
Mais ce cher Mathusalem est bien embêté. Il n'a plus rien à faire sur la terre, le diable et la mort ne veulent pas de lui, mais où peut-il aller ??
Le paradis, mais oui, le paradis.
Il frappe à la porte du paradis et c'est St Pierre qui lui répond :
- Bonjour, qui es-?
Mathusalem tombe à genoux, St Pierre a l'air si pur, si bon. Il ne peut pas lui mentir. Alors il lui raconte tout, comment il a été mauvais, cupide, radin, méchant, voleur sur la terre, ce qu'il a fait à la mort et au diable, qu'il en a marre d'être sur la terre, qu'il veut mourir.
St Pierre lui dit qu'il n'est pas possible de le laisser rentrer au paradis, après tout ce qu'il a fait.
Mais Mathusalem est désespéré, il ne veut plus retourner sur terre. Alors il se jette au pied de St Pierre et lui embrasse les doigts de pied en disant :
- Je t'en prie , laisse-moi rentrer.
St Pierre commence à rire car Mathusalem le chatouille en l'embrassant sur les pieds. Alors il dit dans l'italien de mon arrière grand-mère :
- Resta, Resta !!
Dans l'italien de mon arrière grand-mère, " resta " veut dire : " Arrête ! " mais en Fourlain, le patois de la région de Frioul, " resta " veut dire : Reste. Alors pendant que St Pierre disait : " Arrête, Arrête ! ", Mathusalem comprenait : " reste, reste ! ". Il est passé entre les jambes de St Pierre et est entré au Paradis.
St Pierre était bien embêté, comment expliquer au Bon Dieu qu'il avait laissé Mathusalem entré au paradis… Il a pris son courage dans son cœur et il est allé voir le bon dieu :
- Bon Dieu, y'a un problème.
- Qu'est-ce qu'il y a?
- Ben, j'ai laissé rentrer Mathusalem au Paradis.
- Mathusalem, Mathusalem…Celui qui fait peur à la mort et au diable, celui qui a 969 ans !!
- Oui.
- Quoi ! Mais comment as-tu pu le laisser rentrer ??
- Il m'a chatouillé les pieds puis il est passé entre mes jambes et pfuitt !! Il est entré.
- Mais comment va-t-on expliquer qu'il a vécu aussi longtemps en étant si mauvais…?
- Je sais pas.
- Évidemment que tu ne sais pas, c'est moi le Bon Dieu. J'ai une idée, inscrit dans le dictionnaire :
Mathusalem : prophète qui a vécu pendant 969 ans.
- Avec le temps, les mortels vont oublier sa vraie nature et se diront qu'il a vécu aussi longtemps parce qu'il était bon.
Tout le monde l'a oublié sauf mon arrière grand-mère, ma nonna italienne.
Enfin, comme je veux pas me fâcher avec l'être ou les êtres supérieurs, je dirais que la vérité vraie n'y'a que Dieu qui la sait ….
Conte publié sur conteur.com le 18-10-2004