La Chartreuse de Val Saint Esprit à Gosnay
- La légende d'Alix -
Extrait de "Le guide de Flandre et Artois mystérieux"
Transmis par JP Bacquet
Alix, l’enterrée vive.
La fondation de la chartreuse du Val-Saint-Esprit de Gosnay est l’objet d’une légende, racontée ainsi par le mémorialiste Harbaville :
« Pendant une des résidences de la Comtesse Mahaut au Château de Gosnay, en 1322, eut lieu une exécution atroce. Aigrie par l’embarras que lui suscitèrent durant tout son règne les injustes prétentions de son neveu Robert d’Artois, la princesse était devenue austère. Elle établit dans sa petite cour un ordre rigoureux et fit serment de punir des plus fortes peines toutes les fautes que les personnes attachées à sont service commettraient contre les bonnes mœurs. Mais la crainte arrêta-t-elle jamais l'élan des passions ? Or la comtesse avait une camériste jeune et jolie. Alix était son nom. Un varlet jouvenceau de bonne mine la poursuivit de ses assiduités, parvint à s’en faire aimer et leur intimité produisit ses fruits amers. La comtesse ne tarda pas à concevoir des soupçons, puis elle acquit la certitude que la pauvre Alix était enceinte. En présence de tous ses gens, elle fit comparaître la coupable et, après lui avoir adressé les reproches les plus durs sur le scandale de sa conduite, elle lui demanda « moult ireusement » comment elle avait osé enfreindre ses défenses.
- « J’ai été séduite, répondit la tremblante Alix.
- Femme, dis e nom de celui qui t’a induite à mal, à ce qu’il meure en ton lieu adoncq je pourrai t’octroyer merci et te laisser cacher ta vergoigne en un moutier… Ains, tu ne réponds ?
- « Ne puis le nommer ; dit Alix avec fermeté, je lui pardonne et ne veux être l’occasion de sa mort. Soit faite de moi selon votre plaisir.
- « Eh bien ! tu mourras », reprit la terrible comtesse.
« Et il était là le jeune écuyer complice de la faute ; il était là respirant à peine. Un instant, il eut la pensée de se déclarer coupable, mais la crainte refoula ce généreux sentiment. La comtesse prononça sont arrêt. Elle ordonna que la malheureuse fût enterrée vivante. En vain, Alix, prosternée, implora merci avec les accents du désespoir, en tendant vers son juge des bras suppliants ; ni le spectacle de cette profonde détresse, ni les supplications des officiers de sa maison ne purent fléchir Mahaut. Elle voulut même que, pour l’exemple, tous ses gens fussent témoins de l’exécution de la sentence. Elle ajouta :
- « Messire chapelain, exhortez-la à recevoir la miséricorde du divin Salvateur, ne veux ni tuer son âme avec son corps.
« A ces mots, elle se leva de son siège et remplit l’assemblée.
Des gardes emportèrent Alix évanouie. Pendant la confusion que produisit cette scène, le jeune homme était disparu. On le chercha vainement. Les gardiens de la porte dirent qu’ils avaient vu sortir du château paraissant en proie à une agitation extrême et comme un être privé de raison. On ne le revit.
« Le soleil venait de se coucher derrière les monts d’Houdain ; la nuit s’étendait sur la vallée et couvrait de ses voiles le lieu où s’accomplir ce meurtre abominable. A l’extrémité du parc, une fosse profonde était ouverte. La clarté des torches perça l’obscurité. Un cortège funèbre, s’avançant en silence dans les allées solitaires, arriva à l’endroit fatal. L’infortunée Alix était soutenue par un homme d’armes et par le vieux chapelain qui lui prodiguait des paroles de consolation.
Mais en présence de la mort horrible, toute résignation s’éteignait dans le cœur d’Alix. Ah ! Comment achever… Comment dire ce qui se passa dans l’âme des assistants, l’horreur dont ils furent saisis quand la victime fut descendue dans la fosse, quand de larges pierres la couvrirent et que les sons inarticulés d’un râle affreux devinrent de moins en moins distincts à mesure que la terre s’amoncela…
Lorsque la tombe fut refermée, on croyait encore ouïr de sourds gémissements.
« Dès ce moment, la paisible vallée de Gonsnay fut effrayée par des apparitions étranges : des voix lamentables troublèrent le silence des nuits ; un spectre décharné fut aperçu errant à la clarté de la lune dans les sites les plus sauvages, gravissant les collines, franchissant les ruisseaux (…). Mais le remords vint déchirer le cœur de la comtesse. Son repentir ne fut pas stérile : il profita aux malheureux. Par le conseil du pieux Thierry d’Hérisson, elle fonda à Gosnay un hôpital qu’elle dota et deux chapelles où la mémoire de la victime fut journellement recommandée. Et lorsque peu d’années après ce tragique événement, deux maisons de chartreux furent établies dans la solitude de Gosnay, le lieu prit le nom de Val-Saint-Esprit. »